Dans la tétralogie de Madjid Tobia (1) nul amour ne vient, nulle reconnaissance de la personnalité reine, nul apaisement à l'humiliation métaphysique de l'homme. Rejetés, les sombres héros des quatre tomes de L'Expatriation des Beni Hat'hout (2) restent indomptables. Aliénés, totalement isolés, se regardant agir comme des automates conscients, « les méchants » commandent. La force terrible, l'énergie de leur « satanisme » convertit les hommes ordinaires en mauvais anges, et les entraîne là où leurs bourreaux vont. C'est ici que « les méchants » deviennent criminels : c'est dans le mépris absolu des autres, de ces hommes en qui ils refusent de reconnaître des personnes, eux qui réclament une telle reconnaissance au « ciel ». Dans la longue marche, dans le terrifiant exode vers « le pays du bonheur » (3), « les méchants » sont rois, ils font des « autres hommes » de simples instruments. Ils osent même leur clamer à la face : « Vous n'êtes que nos bras et nos jambes. » L'impiété humaine des « méchants », voilà ce qui les damne sans rémission, mais aussi ce qui rend leur domination plus grandiose et plus terrifiante. La tristesse des « méchants » est bien la tristesse de « Satan » enseveli dans le désert d'Egypte, dans ce « Sud » mal aimé, dans le « saï'd » méprisé par les citadins du Caire. Quand ils se libèrent des sables, ils regardent en face ce « désert terrifiant ». « Je t'invoque ô désert, mais d'une voix sans amour », dit leur chef. Plus tard, il ajoutera : « Tout ce qui enchante n'est qu'angoisse, puisque la joie m'est interdite. » En fait, la séparation d'avec Dieu, d'avec la nature, d'avec les hommes, est pour lui — et « ses « méchants » — à la fois un châtiment inéluctable et un destin farouchement embrassé. (1) M. Tobia est né en 1938 à El Minia dans le « saï'd » (sud de l'Egypte). Il compte parmi les dix grands romanciers vivants de son pays. (2) L'Expatriation des Beni Hat'hout (4 tomes) 750 p. environs. Le Caire 2005 (3) Dénommé aussi « pays des grands lacs » ou « Sources du Nil ».