Madjid Tobia est « le Chaoui » de l'Egypte. Il est « saêdi » (du Saêd : sud de l'Egypte) et il a cette « redjla » qui rend jaloux les citadins du Caire ou d'Alexandrie. Fier, « le nez bien haut », Madjid Tobia continue son travail d'écrivain professionnel et prolifique. Il vient de publier une importante tétralogie, Les Mésaventures des Beni Hat'hout. Comme les Kabloutis de Kateb Yacine, les Beni Hat'hout de Madjid Tobia ont été victimes de toutes les invasions étrangères et ont survécu, dans la plupart des cas, amoindris mais « le nez bien haut », étendard de leur « redjla » et seul butin de guerre. J'ai une estime tout à fait particulière pour Madjid Tobia depuis que - chargé par Brahim El Moalim, patron des éditions Echourouk du Caire, de porter mon roman (Une Odeur de chien) à Gamel El Ghitani- il a lu mon livre au café et dans le métro. Arrivé chez le célèbre écrivain égyptien, il lui lança avec sa franchise « saêdie » (montagnarde) : « Si tu ne lis pas ce roman, tu ne connaîtras jamais assez la nouvelle littérature algérienne de langue arabe ! » Le 26 février dernier, je l'ai rencontré au Caire. Fidèle à lui-même, Madjid Tobia m'invita à prendre un café sur l'esplanade du Conseil supérieur de la culture, alors que le ministre égyptien de la Culture donnait une réception pour tous les invités (y compris Madjid et moi) duFestival de la création romanesque arabe. « Ahna toué kahaoui echaâb » (nous, nous sommes faits pour les cafés populaires), dit-il en me tapotant, amicalement, sur l'épaule. Nous nous sommes installés au café du Conseil pour prendre deux nescafés bien chauds. Madjid est très généreux. Il nous invita - Isabella C. d'Afflito, Maria Avino(1), Miloudi Cheghnoum(2) et moi - à une soirée inoubliable au Club grec (géré par un Grec), restaurant des intellectuels égyptiens. Au milieu des années 1970, j'ai lu le premier recueil de nouvelles de M. Tobia. Juste après avoir fermé ce livre, j'ai dit en mon for intérieur que ce monsieur sera un grand écrivain. Aujourd'hui, Madjid Tobia est l'un des plus grands écrivains arabophones vivants. Nouvelliste, romancier et dramaturge, il ne cesse de produire des chefs-d'œuvre. Innovateur, il a toujours choisi les formes expérimentales, les styles denses et les sujets fouillés. En fait, il n'aime guère la facilité, excepté dans sa vie simple, sans magouille et sans tapage médiatique. Saédi au nez bien haut, homme de parole et intellectuel érudit, il a toujours refusé les interviews complaisantes et le « copinage » des salons feutrés. De tempérament sobre, il préfère créer en silence, loin des bruits assourdissants et des lumières éblouissantes. Pour Madjid Tobia, « l'écrivain doit travailler dur pour mériter le respect de ses lecteurs, ses seuls juges. Quant aux critiques littéraires, leur rôle est d'éclairer les passionnés de lecture sans complaisance, favoritisme ou partialité ». (1)Universitaires et traductrices italiennes. Elles ont fait beaucoup pour la littérature arabophone, y compris celle d'Algérie. (2)Romancier et nouvelliste marocain de renom.