Richard Girier-Dufournier a pris place dans le box réservé à la partie civile dans la grande salle des assises du tribunal de grande instance de Paris. Sur le pupitre, la photo de sa fille Sandrine, une belle brune aux cheveux frisés qui rêvait d'ouvrir une agence pour mannequins. Le 25 juillet 1995, Sandrine se trouvait dans une rame du train qui a été soufflé par une bombe, à 17h55, à la station de métro Saint-Michel, à Paris. Sandrine a perdu la vie, ainsi que 7 autres personnes, alors que 150 ont été blessées. Quatorze ans après cette tragédie, son père Richard veut toujours comprendre ce qui s'est passé ce jour-là. « Il a tué ma fille, en désignant d'un coup de menton l'homme assis dans le box des accusés. J'attends de lui qu'il nous dise la vérité, qu'il nous explique pourquoi il a tué des innocents… » L'homme que ce sexagénaire désigne du menton sans pouvoir le nommer c'est Rachid Ramda, 40 ans, un islamiste algérien dont le procès en appel s'est ouvert hier au tribunal de Paris. Ramda n'en est pas à son premier jugement. Le 26 octobre 2007, il avait été condamné à la réclusion à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de 22 ans pour sa participation à l'attentat meurtrier de Saint-Michel ainsi qu'à deux autres, perpétrés en octobre de la même année, aux stations Maison-Blanche et Musée-d'Orsay. Ramda, on le surnomme le financier de la terreur, le convoyeur de fonds, voire le cerveau du Groupe islamique armé (GIA) en France. Ce mercredi, dans le box, il reste impassible, fuyant les regards des parents de victimes, la tête plongée dans ses notes, presque absent dans cette grande cage en verre où il a été installé. Veste marron foncé, chemise grise, pantalon beige, la barbe noire plutôt bien taillée, se déplaçant avec des béquilles en raison d'une entorse à la cheville droite, voilà donc cet homme replet de nouveau confronté aux juges pour s'expliquer sur sa prétendue responsabilité dans cette vague d'attaques qui a ensanglanté la capitale française en 1995. Lorsque le GIA a décidé de frapper la France, Rachid Ramda ne vivait pas à Paris, mais à Londres ; il sera extradé en France en 2005 après dix ans de procédure. Dans ce pays tenu pour être La Mecque des islamistes, Ramda n'était pas un banal activiste, mais un ponte de la nébuleuse intégriste. Fort d'une expérience acquise quelques années plus tôt au Pakistan, il avait l'oreille et la confiance de l'émir du GIA en Algérie, Djamel Zitouni, de qui il recevait ordres et directives. Il rédigeait et distribuait la revue Al Ansar, l'organe officiel des activistes armés algériens, et s'occupait de l'ensemble de la logistique qui précédait la préparation et l'organisation des attaques de 1995. Bien qu'il ait toujours nié sa responsabilité, des indices, des preuves, des aveux, des témoignages laissent croire qu'il en était l'instigateur, sinon l'argentier. Ce faisceau de preuves, ce sont Boualem Bensaïd et Smain Aït Ali Belkacem qui les fourniront. Condamnés tous deux en 2002 à la prison à vie, ces activistes du GIA ont été reconnus comme les deux auteurs principaux des attentats. Lorsque ces deux larrons ont été arrêtés les 1er et 2 novembre 1995, les enquêteurs ont découvert dans leurs caches des armes, des explosifs et de l'argent, des registres de comptabilité, mais surtout des carnets d'adresses, des numéros de téléphone appartenant à un correspondant installé à Londres répondant au nom d'Elies. Elies, c'est le pseudonyme de Rachid Ramda. Après son arrestation à Londres en novembre 1995, la police met la main sur des traces de virements qu'il a effectués pour le compte de Boualem Bensaïd, notamment 5000 livres sterling virées en France la veille du 25 juillet 1995, ainsi que des relevés d'appels téléphoniques qu'il a donnés ou reçus de la part de Bensaïd. Bref, des indices qui laissent supposer que Rachid Ramda n'était pas étranger aux attentats de Paris.