Elle est là où doit être son personnage. Au bon moment, au bon angle. Lundi après-midi, le monologue Ahlam Zaman (Les rêves d'antan), présenté au théâtre régional Azzeddine Medjoubi de Annaba, à la faveur du premier Festival culturel national de la production théâtrale féminine, a plu au public. L'idée de ce monologue, mis en scène par le jeune Kamel Torche d'après un texte de Samia Saâdi, n'est pas nouvelle. Mais, la manière avec laquelle le sujet de la femme qui ne trouve pas de mari est raconté, mis en spectacle, est intéressante, moderne. Adepte du réalisme sur les planches, Samia Saâdi, inspirée par une histoire vraie, a campé le rôle de Ahlam, une vieille fille, qui vit à l'intérieur et qui subit les attaques sournoises du voisinage. «Bayra ! Bayra!», crie la foule au début du spectacle. Ce mot sale signifie la fille qu'aucun homme n'a voulu prendre pour épouse. «Mère, tu m'as dit d'être patiente ! Jusqu'à quand ? Leurs mots me blessent», se lamente Ahlam qui se réveille en sursaut d'un cauchemar circulaire. Elle est prise par une seule obsession : rencontrer un homme pour atteindre «la délivrance», plus psychologique que physique. A 45 ans, la quête paraît difficile. «Mère, tu m'as dit de ne pas sortir. Mais comment trouver un mari entre les murs?», s'interroge-t-elle. Ahlam assiste à une fête de mariage. Là, elle est torturée par les remarques désobligeantes des invitées. La femme est le meilleur bourreau de la femme. L'a-t-on oublié ? «Je veux marcher dans la rue avec un homme et je dis à tous : mon époux est là !», crie Ahlam. Elle est tantôt prise par la douleur de la solitude, tantôt par le bonheur de rêver à la présence d'enfants à la maison. Ahlam sort. Elle rencontre un homme qui chique et qui fait «un stage» pour ramasser les poubelles plus tard. Pourquoi pas ? Le jour du mariage, Ahlam est battue par son époux ivre. «Frappe-moi puisque j'ai écrasé ma dignité pour te prendre comme époux. Frappe-moi parce que je n'ai pas d'autre choix !», pleure-t-elle. Elle subit aussi le diktat terrifiant de la belle-mère. A l'hôpital, elle doit accoucher dans les sanitaires et «loger» dans les couloirs. Sa voisine, l'épouse du richissime Hamid Zeddam, est traitée comme une princesse. Oui, dans les hôpitaux «publics» algériens, les plus pauvres sont les moins respectés, les plus humiliés. C'est même à la tête du client ! Certains médecins, infirmiers et administratifs – pas tous bien sûr – ne s'intéressent pas à la maladie du patient mais à sa poche, à son rang social et à sa «générosité». Il n'existe aucune justice de ce qui est appelée la santé publique. Samia Saâdi ne s'est donc pas contentée d'évoquer la situation de la femme dans la société pour ne pas reproduire le discours, largement consommé, des pleureuses. Elle a brassé large. Il y a tellement de choses à dire sur la société d'aujourd'hui, ses paradoxes et ses délires ! Ajoutant de l'humour, la comédienne a pu communiquer facilement avec le public. Son jeu simple, frais et sans prétention l'a énormément aidée. Le souvenir d'une femme décédée sans se marier que Samia Saâdi a connue a même amené Ahlam à pleurer sur scène. «Cette femme me suppliait pour parler de sa douleur. Elle me disait que même sa mère lui reprochait d'avoir ‘‘mangé'' ses enfants ! Pour évoquer les difficultés d'être femme, il est important d'user du langage de la franchise. Chaque artiste doit à mon avis avoir de l'audace pour traiter de toutes les questions sur les planches. On doit briser les tabous et respecter la femme qui ne s'est pas mariée, ne pas faire un drame de ce célibat», a expliqué Samia Saâdi, lors du débat après le spectacle. La comédienne a fait un souhait : «J'espère qu'un jour on demandera des excuses aux femmes attaquées parce qu'elles n'ont pas trouvé d'époux, leur dire que ce n'est pas de leur faute et que la vie est ainsi faite».