Depuis quelque temps, la santé publique est sur la sellette, ses médecins sont incompétents, négligeants quand ce ne sont pas les deux à la fois. Ces derniers font l'objet de plaintes pour leurs erreurs et leurs fautes dont certaines sont parfois responsables de conséquences graves. L'hôpital pour ses détracteurs est devenu un mouroir. Devant ces allégations pour le moins alarmistes et apocalyptiques, en tant que praticien exerçant depuis 1965 et connaissant assez bien le secteur, il m'est apparu d'éthique responsable d'exprimer mon point de vue. Mon but est de donner un certain éclairage pour que le citoyen ait sa propre opinion avec l'espoir que nos malades ne soient pas effrayés et n'appréhendent pas les soins dans les secteurs publics lorsque cela est nécessaire pour la santé. Après un démarrage laborieux au lendemain de l'indépendance, la santé s'est structurée en mettant à notre disposition des moyens importants et des centres implantés dans toutes les régions d'Algérie. J'ai eu à le constater lors des congrès, des cycles de formation et des séminaires auxquels j'ai assisté et qui étaient organisés même dans les endroits les plus reculés. En réalisant une enquête sur l'hta sur l'ensemble du territoire national, j'ai constaté également qu'il existait partout des centres pouvant accueillir des patients. J'ai pu également remarquer que dans des villes très éloignées comme Timimoune par exemple que des médecins ont pris sérieusement la relève. Ils appliquent les techniques les plus récentes et de ce fait il ne nous adressent que des malades compliqués. J'ai pu remarquer aussi qu'un matériel imposant pour réaliser des diagnostics difficiles est mis à la disposition des praticiens pour administrer à leurs malades le traitement nécessaire et le plus efficace du monde. Des disciplines ignorées ou émergantes s'implantent partout en Algérie. Ainsi, la neurochirurgie est dispensée avec succès dans de nombreux centres, la chirurgie cardiovasculaire se développe même s'il reste des progrès à réaliser. Je n'ignore pas que des insuffisances existent et que des efforts gigantesques sont encore à réaliser si on veut rejoindre le lot des pays nantis. Mais que l'on soit clair – et je le dis le plus sérieusement et le plus honnêtement – que les praticiens algériens sont performants pour l'essentiel, il reste quelques pathologies complexes ou rares qui ne trouvent pas de solutions en Algérie. Le nombre d'affections qui nécessitent des prises en charge à l'étranger diminue au fur et à mesure que des équipes sur place maîtrisent leur sujet. Ce n'est pas un hasard que le taux de mortalité infantile a diminué considérablement et que l'espérance de vie s'est allongée. Et que dire encore de nos étudiants et médecins que nous formons et qui partent à l'étranger, ils font tout simplement la joie des pays d'accueil. Tout cela pour rappeler que tout n'est pas mauvais dans notre système de santé, qui a au moins le mérite d'être accessible à tous les citoyens. Bien sûr, il y a des erreurs, des fautes qu'il faut dénoncer et parfois même prendre des sanctions sévères (notre conseil de l'ordre est intransigeant à ce sujet), mais a-t-on évalué ces ratages ? L'évaluation des hôpitaux n'est pas aisée, parce qu'il faut intégrer beaucoup de paramètres, notamment le nombre d'actes pratiqués, la nature des pathologies, l'âge des malades et les moyens mis à la disposition des praticiens. Pour illustrer mes propos, je tiens à rapporter une enquête sur la performance des hôpitaux français réalisée par un hebdomadaire parisien, Le Point, si je ne m'abuse. Dans l'évaluation, il n'a pris en considération que quelques critères dont le principal était le nombre de décès. Il s'est fait reprocher de ne pas tenir compte que dans les hôpitaux qui avaient un taux élevé de mortalité, les patients étaient âgés et avaient des pathologies lourdes, depuis, il ne s'est plus aventuré à faire une telle évaluation. Que se passe-t-il en Algérie ? Les hôpitaux ont pour vocation de prendre en charge tous les malades quels que soient leur âge et leur pathologie, j'entends par là les malades les plus graves. Il est indéniable que leur taux de mortalité est supérieur à celui des structures qui prennent en charge des pathologies légères. Malheureusement, beaucoup de malades viennent à l'hôpital quand le pronostic vital est déjà engagé. Dans ces cas, il ne faut pas s'attendre toujours à des miracles. Cela ne veut pas dire que tout est parfait, loin de là, mais qu'il faut travailler davantage et nous sommes les premiers à exiger qu'il y ait des évaluations bonifiantes et sanctionnantes. Mais il n'est pas admis d'affirmer que les médecins ne font pas leur travail lorsqu'on les voit faire des efforts considérables pour améliorer leurs performances, lutter pour un budget, se perfectionner dans le souci d'être plus efficaces, et parfois même payer de leurs propres deniers certains manques dans leur unité. On ne peut pas dire aussi (et Dieu sait si on ne s'accroche pas souvent) que les gestionnaires ne font pas leur travail quand on les voit courir pour les services, quand on les voit aller de jour comme de nuit chercher le médicament nouveau ou manquant et parfois sacrifier leur vie familiale pour aider à alléger les souffrances des malades. Mais à juste titre, on est en droit de se demander qu'est-ce qui ne va pas et que doit-on faire pour que ça aille mieux ? Il n'est pas possible d'expliquer tous les maux dont souffre notre système de santé, il faudrait plus d'un article pour bien les cerner. Cependant, ce qui apparaît à l'évidence, est que les mesures structurelles doivent être immédiatement appliquées. Il est impérieux de hiérarchiser les soins, d'appliquer la sectorisation et de donner aux médecins traitants l'initiative de décider ou non d'adresser les patients (en dehors des urgences) dans les hôpitaux. L'hospitalisation doit être codifiée et programmée pour éviter les abus et les passe-droits. Il faut aussi, dans ce système, que le patient joue pleinement son rôle de citoyen et se plie aux exigences de ce schéma. Tous les pays qui ont adopté ce genre d'hospitalisation ont vu beaucoup de problèmes diminuer. Il faux aussi rappeler que la médecine n'est pas une science exacte même s'il elle tend à le devenir, il faut accepter que certaines erreurs puissent exister, et comme le dit le grand biologiste Jean Rostand : « ô merci bienfaisantes erreurs scientifiques, c'est vous qui êtes la base sur laquelle s'édifie la vérité. » A l'ère où toute la médecine repose sur des fautes, il n'est pas admis de porter des appréciations en se basant sur des sentiments ou des informations sans analyse profonde. On cite le chiffre de 500 plaintes par an (je m'attendais à plus), en France, il est de plusieurs milliers. Mais pour que le chiffre ait une signification, il faut le rapporter aux centaines de malades que nous traitons quotidiennement. J'ai calculé le rapport, il est insignifiant et en tous points comparable à celui de beaucoup de structures de pays avancés. Il en est de même pour le nombre de morts, avant de parler de mouroir il faut donner les chiffres. Personnellement, devant ces affirmations, je me suis rapproché de mes collègues qui m'ont montré leur registre de décès par année (ces chiffres sont disponibles au niveau du ministère et des DSP) Je n'ai pas les chiffres exacts, mais tout ce que je peux affirmer, c'est que nous n'avons pas à rougir de ce que nous faisons. D'une façon inconsciente ou consciente, nous allons effrayer la population, la traumatiser. A force de fragiliser la santé publique, on risque de la déstabiliser et de la rendre inopérante, ce qui serait une terrible catastrophe pour le citoyen. Ne jouons pas au docteur Knoch, ce médecin qui a conditionné toute une ville par son pouvoir médical, mais dans notre cas, nous serons des Knochs qui auront réussi à faire fuir la population et prendre le risque de la jeter dans les bras des sorciers, charlatans ou autres rebouteux et... rappelons,-nous ce que disait Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant. » Pr M. : Service de cardiologie CHU Mustapha