Des médecins promettent plus qu'ils ne peuvent tenir, en laissant croire qu'il n'y a que des réussites. Les malades leur font souvent une confiance aveugle en ayant à l'esprit de s'en sortir « sûrement ». Malheureusement, il arrive que les choses se passent très mal pour eux. Plusieurs interventions chirurgicales, des accouchements ou autres interventions médicales, que ce soit dans les structures publiques ou privées, tournent au drame. Ceux qui ne décèdent pas, finissent dans un coma profond ou quittent les structures avec de lourdes séquelles, paralysie notamment. Sont-ils victimes de négligence, d'erreur de diagnostic ou simplement de médecins peu scrupuleux, incompétents ou véreux ? Si des familles acceptent le sort qui leur a été réservé en mettant tout sur le compte du destin, d'autres estiment qu'il n'est plus question de laisser galvauder la santé des citoyens à cause de la cupidité de certains praticiens et responsables administratifs. Ainsi, des affaires sont actuellement devant les tribunaux après les expertises médicales et les auditions par les autorités sanitaires de déontologie. Elles sont souvent les « mauvaises œuvres » de chirurgie orthopédique, d'infections nosocomiales, de chirurgie digestive, de problèmes liés à la gynécologie, l'obstétrique, la cancérologie, l'anesthésie réanimation, d'un arrêt cardiaque durant une intervention chirurgicale, d'une septicémie pour cause de non-respect des règles d'asepsie et de complications parfois mortelles de certains traitements. Les erreurs se répètent ! L'affaire de la circoncision collective des enfants d'El Khroub à Constantine, qui a défrayé la chronique, en dit trop sur la négligence et la légèreté avec lesquelles sont traités les Algériens. Le 27 septembre 2005, Mme Hassissen Khoukha, veuve Bouallouche, âgée de 73 ans, diabétique, hypertendue, a été admise au bloc opératoire de la clinique El Azhar, à Alger, pour y subir une opération pour une discopathie dégénérative. Elle n'en sortira pas saine et sauve. Elle sombre dans un coma profond et restera au service de réanimation durant trois mois dans cette clinique. Elle est actuellement à l'hôpital Aïn Naâdja au service de réanimation après avoir été transférée à la clinique des Orangers le 25 décembre 2005 sans dossier médical et sans informer la famille. Celle-ci est dans un total désarroi et a décidé d'alerter l'opinion publique. Des lettres de dénonciation ont été adressées au ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, au DSP, au Conseil de l'ordre des médecins et à la ligue des droits de l'homme. Et l'affaire est actuellement instruite par le tribunal de Bir Mourad Raïs. Que s'est-il passé exactement ? Mme Hassissen souffrait de douleurs lombaires irradiant les genoux malgré un traitement prescrit par son médecin traitant, un rhumatologue qu'elle a vu le 19 septembre dernier. Devant l'insistance de ces douleurs, ces enfants ont fait appel à un chirurgien orthopédiste qui s'est déplacé auprès de la malade à la maison. Après consultation, le médecin a demandé de faire un scanner. Une fois l'examen radiologique établi qui confirme une discopathie dégénérative, Mme Hassissen est admise à la clinique El Azhar pour subir l'opération le 27 septembre 2005. « N'ayant pas considéré les gros risques anesthésiques de ma mère en cours d'intervention, ceux-ci ont provoqué un arrêt cardio-respiratoire responsable d'une anoxie cérébrale. Un accident qui aurait pu être évité, si l'interrogatoire préanesthésique avait été sérieux », signale la famille de la victime qui considère que la première erreur commise par le médecin est le fait d'avoir décidé d'opérer. La famille, dont un membre est médecin de formation, considère que le code de la déontologie a été sérieusement bafoué. « Plusieurs neurochirurgiens consultés sur la question ont été catégoriques : pas d'intervention chirurgicale pour ce cas précis. Ni le pronostic vital ni même le pronostic fonctionnel n'étaient mis en jeu, il n'y avait pas d'indication chirurgicale urgente », signale encore la famille. Le médecin anesthésiste a, de son côté, une grande responsabilité selon les Bouallouche. L'anesthésiste, qui dans son compte rendu préanesthésique a classé la patiente ASA III et « a pris ainsi, de gros risques anesthésiques pour la patiente, doit expliquer pourquoi il l'a fait, vu qu'il n'y avait pas de mise en jeu de pronostics vital et fonctionnel », demande-t-on. Et de préciser qu'il n'a même pas pris la peine de demander quel type d'antihypertenseurs la malade prenait et qu'elle avait pris la veille de son intervention chirurgicale. La troisième erreur, signale la famille, réside dans le fait que l'équipe médicale n'informe pas les enfants de ce qui s'est passé durant l'opération. Les médecins font comme si « c'était normal que ma mère soit dans le coma » et « se dérobaient quand les membres de la famille voulaient des explications. Devant leur insistance, ils racontaient qu'ils ont mis ma mère sous sédation pour quelques jours et qu'ils la réveilleraient quelques jours plus tard ». Par ailleurs, le médecin-réanimateur, souligne-t-on, n'a pas fait les examens d'usage chez un comateux. « Il n'a fait ni scanner, ni EEG, ni IRM pour ne pas mettre à nu l'erreur médicale commise dans le bloc opératoire », relève-t-on. Un neurologue a été ramené par la famille pour faire un EEG et avoir un avis neurologique sur le cas de la malade. Aussi, la famille s'interroge pourquoi M. Khodja Bach, directeur de la clinique à laquelle est lié le chirurgien orthopédiste par contrat, n'a pas pris ses responsabilités vis-à-vis de la malade en contraignant le médecin - qui a opéré dans sa clinique - à prendre ses responsabilités, avouer son erreur médicale à la famille et surtout assumer pleinement la prise en charge de la malade (frais d'examens et de réanimation). Dans la lettre adressée aux différentes institutions par la famille Bouallouche, il est signalé que la clinique a perçu 300 000 DA, et « le directeur a continué à réclamer d'autres versements, alors que ma mère était dans le coma. Il n'arrêtait pas de rappeler à la famille que la facture de leur mère grimpait. Quand mes frères ont refusé de faire d'autres versements, car l'état de leur mère ne s'améliorait pas, le directeur a décidé d'arrêter les soins et a demandé de ramener tous les médicaments. Ensuite, il a instauré une note qui n'autorisait la visite que d'une demi-heure par jour et a interdit l'accès à mes deux frères », ajoute-t-on. La famille Bouallouche considère dans ce cas-là de « non-assistance à personne en danger, une entorse de plus au code de la déontologie ». L'affaire ne s'arrête pas là. Le 22 décembre dernier, Mme Hassissen a été transférée sans l'accord préalable des enfants vers une clinique publique (les Orangers) où elle est restée uniquement deux jours, jeudi et vendredi, « faute de service qui convenait à la malade », a déclaré à la famille le professeur qui a reçu Mme Hassissen. « La complaisance et la complicité de ce professeur avec M. Khodja Bach, directeur de la clinique El Azhar, ont fait qu'il a accepté ma mère dans ce même service inadéquat et cela sans dossier médical »,s'indigne la famille. Ce dossier qui a été demandé, ajoute-t-on, à plusieurs reprises n'a jamais été remis aux membres de la famille qui signale : « En guise de dossier médical, il y a juste un compte rendu sur une simple feuille truffée de fautes et qui n'est pas conforme à l'histoire de la maladie. » Trois plaintes ont été alors déposées contre le directeur de la clinique El Azhar pour non-délivrance du dossier médical et non-assistance à personne en danger. Un médecin expert a été également désigné par le tribunal de Bir Mourad Raïs, dont le rapport d'expertise établi le 17 décembre dernier signale « un accident grave de l'anesthésie générale survenu chez une patiente âgée et dont l'état vasculaire est en rapport avec les affections chroniques qu'elle présente, à savoir le diabète et l'hypertension artérielle. Cette patiente a été classée en ASA III sans la classification des états cliniques préanesthésiques ou le stade IV correspond à l'état le plus grave. La patiente est alors dans le stade le plus grave du coma (3/15, 4/15 de Glasgow) ». Dans le compte rendu établi par le médecin anesthésiste réanimateur, il est noté, par contre, qu'« au bout de 2 heures 30 d'intervention, la patiente a fait une défaillance cardio-vasculaire (...) et au bout de 8 heures de sédation et ventilation, la malade est à 9 sur le score de Glasgow ». Le chirurgien orthopédiste, que nous avons contacté, précise : « Je n'ai aucune responsabilité pour ce qui s'est passé. La malade souffrait sérieusement, il fallait l'opérer pour la soulager de ses douleurs. Cliniquement, la marche était très difficile pour elle et incertaine avec un périmètre de marche réduit. Il existait une antéflexion antalgique du tronc à 90 degrés. A la lecture de la radiographie de profil du rachis lombaire, on voyait le spondylolisthesis dégénératif de L4 sur L5 grade II/III avec faillite discale totale. Devant ce tableau de caudications neurogènes en rapport avec un canal lombaire étroit dégénératif et un glissement vertébral sévère en L4-L5, décision fut prise d'opérer la patiente (...) et ceci bien évidemment sous réserve du bilan d'opérabilité de MmeHassissen et de l'accord du médecin anesthésiste. » Polémiques et secret médical De l'avis du médecin traitant, le rhumatologue Dr Asselah Smail, le type d'intervention est contre-indiqué dans le cas de cette patiente, d'autant qu'elle présente également une discarthrose lombaire étagée. Lors de sa dernière visite le 19 septembre 2005 , « Mme Hassissen présentait une lombosciatique L5 Dte commune. A noter qu'elle a monté les escaliers seule, l'équivalent d'un étage. Aucun signe neurologique en faveur d'une lombosciatique paralysante n'a été retrouvé afin de justifier une intervention chirurgicale », certifie le docteur Asselah. De son côté, le directeur de la clinique, Dr Khodja Bach, s'est refusé à tout commentaire. Il s'est contenté de dire qu'un médecin expert a été désigné pour faire la lumière sur les conditions de prise en charge de cette malade et ne désire pas entretenir la polémique en évoquant le secret médical. Une autre affaire aussi grave remonte au 6 septembre 2005 dans cette même clinique, celle d'un médecin ophtalmologiste âgée de 58 ans. Suite à une fibroscopie œsogastrique, un acte médical jugé anodin, M. Haddoud Azeddine n'est plus de ce monde depuis le 24 septembre après 18 jours de coma profond dans lequel il a sombré après cet examen médical. La famille ne compte pas baisser les bras surtout après « les explications fournies par les responsables de la clinique qui sont peu convaincantes. On nous parle d'hypoxie, d'accident vasculaire cérébral alors que la cause de l'accident est toute autre », écrit une proche du défunt qui nous a expliqué que la victime a subi des examens complémentaires dans une structure hospitalière en France où il a été transféré aux frais de la famille. L'affaire de Mme Allali, âgée de 68 ans, décédée suite à une intervention chirurgicale pour un carcinome de l'estomac, est un autre cas. La famille ne cesse d'écrire des lettres de dénonciation à toutes les instances, en vain. Aucune réponse n'est venue apaiser la douleur d'une famille en mal de culpabilité et d'injustice. L'affaire remonte au 27 juillet 2003. Mme Allali a été prise en charge par un chirurgien connu sur la place d'Alger qui a indiqué « une opération urgente et indispensable ». Une indication acceptée par la famille, et la malade a été admise à la clinique Diar Saâda à El Mouradia où le chirurgien opère également « sans aucun bilan opératoire ni bilan d'extension du cancer », nous dit la fille de la défunte qui s'est rendue à notre rédaction. Une opération qui n'a pas manqué d'engendrer de sérieuses complications. Après une hospitalisation de 7 jours après l'opération et de 5 jours après les complications survenues une fois à la maison, Mme Allali décède à la clinique publique les Glycines le 30 août 2003, soit un mois après son intervention chirurgicale. La fille de la défunte revient sur la genèse de cette affaire dramatique. « Après une opération de 4 heures, ma mère a été transportée directement dans sa chambre. Ensuite, une aide soignante sortant du bloc a apostrophé ma famille en criant ‘‘Mme Allali, voilà l'estomac de votre mère'' en soulevant un bidon d'huile de 5 litres contenant l'organe de ma mère. Le choc fut tel que ma sœur en fit une syncope. » Entre douleur, fièvre et anorexie, la malade souffre d'autres complications dont un épisode de dyspnée avec cyanose, dix jours après sa sortie de l'hôpital. « Pour le médecin, ma mère faisait une anorexie mentale ou que c'était ‘‘peut être du chichi'' », raconte la fille de la victime. La malade a dû être alors hospitalisée une seconde fois durant 5 jours par le même chirurgien qui « nous cachait tout simplement la vérité », alors qu'il l'avait ponctionnée et a diagnostiqué une fistule duodénale. « Suite à des candidoses successives, un drain toujours fuyant après un mois environ, un semi-coma, nous entreprenons de la faire hospitaliser à la clinique les Glycines où elle décédera », a t-elle ajouté. Et de signaler que la clinique Diar Saâda a perçu la somme de 160 000 DA sans compter le tarif de garde de malade qui s'élève à 3000 DA/jour pour une durée de 13 jours. Contacté par nos soins, le chirurgien en question décline toute responsabilité : « Est-ce que vous savez qu'est-ce que c'est un carcinome de l'estomac ? La famille a signé un document et accepté toutes les conséquences et les risques qui pouvaient découler de cette intervention. Elle a eu certes des complications graves, mais c'est nullement de ma faute. J'ai procédé dans la stricte légalité et dans le strict respect de la malade. Je crois que je n'ai pas autre chose à ajouter, puisque j'ai été entendu par mes pairs et une expertise médicale a été établie. » Est-ce que l'intervention était réellement nécessaire ? D'après lui, « il y avait une indication opératoire ». D'autres erreurs médicales ont fait et continuent de faire de nombreuses victimes. Pour faux diagnostic, une malade B. N. a dû subir une intervention chirurgicale inutile pour une fistule anale alors que le mal était ailleurs. La patiente a été opérée une seconde fois à l'étranger et mise sous chimiothérapie. Ou bien le cas de Oukil Khaled, un jeune homme admis à la clinique Chahrazed pour un accident vasculaire cérébral (AVC) et qui est actuellement en réanimation à l'hôpital de Beni Messous. Sa famille a dû payer 537 000 DA pour un séjour de 21 jours en réanimation et 6000 DA pour l'ambulance le transportant de la clinique à l'hôpital de Chéraga à Beni Messous. « Avec tout ce que nous avons payé, sans compter les ordonnances. Nous achetons les médicaments en pharmacie à l'extérieur. Mon frère souffre d'une infection pulmonaire en plus de son AVC »,raconte le frère de Khaled qui a pris attache avec notre rédaction. Le directeur médical de la clinique Chahrazed Dr Kesri, que nous avons joint par téléphone, dément tous ces propos : « Nous avons un service de réanimation le plus performant en Algérie et un personnel des plus qualifiés. Le malade a été évacué de l'hôpital de Douéra suite à un AVC et avec son infection, nous avons fait tout le nécessaire. Nous vous invitons à effectuer une visite dans notre établissement pour voir les normes rigoureuses appliquées au sein de notre établissement. » Combien de personnes sont victimes d'une négligence médicale ou d'erreurs de pronostic ou médicales dans les structures hospitalières du pays ? Personne ne le sait. Toutes ces « fautes » ou « erreurs », seront-elles un jour mises à nu afin d'expliquer aux familles des victimes l'origine de l'accident médical et accroître les chances de succès d'une action en justice.