De plus en plus de jeunes gens, des deux sexes, en âge de convoler en justes noces ou même mariés, rapportent que le salaire des filles et des épouses, quand elles travaillent, est en passe de devenir l'enjeu d'âpres et harassantes tractations entre les pères de celles-ci, lesquels estiment « ne pas avoir élevé une fille pendant des années pour qu'un autre en profite », et les prétendants au mariage avec ces filles qui se disent « avoir la vie empoisonnée » à cause de ce qu'elles gagnent. Circonscrite aux zones rurales où sous couvert de l'autorité patriarcale, cette pratique, consistant à imposer aux filles qui travaillent de remettre chaque mois leurs émoluments au père de famille, gagne, à en croire la multiplication des témoignages, l'espace citadin. Mourad, cadre dans une société publique, raconte : « Pendant des années, le père de celle que j'ai demandée en mariage a refusé d'agréer notre union parce qu'il y voyait une perte de ses ressources. Ce n'est qu'après lui avoir bien expliqué que je ne voulais pas du salaire de sa fille qu'il a donné son aval. Ma femme travaille depuis 5 ans et elle n'a jamais été à la poste pour y retirer son salaire. » Aïcha, 24 ans, professeur de français dans un collège d'un petit village du nord de la wilaya, n'a jamais vu la couleur de son argent. Elle confie avoir payé cher son affront d'avoir osé retirer son salaire du mois de juillet avant que son père le fasse. Elle a été privée de voir sa mère pendant l'Aïd et elle n'a pu « rentrer au domicile parental qu'après avoir promis de ne plus refaire un coup pareil », selon ses propos. Une infirmière, trentenaire, mère de deux enfants, a failli être répudiée après cinq ans de mariage parce que le mari, agacé de voir que le salaire de sa femme ne profitait jamais à leur foyer, « alors que lui et ses enfants supportent les absences quotidiennes de leur femme et mère », demandera à son épouse de cesser de donner son salaire à sa famille. Refusant d'obtempérer, elle sera mise à la porte et passera six mois chez ses parents, avec ses enfants avant qu'un compromis ne soit trouvé. Warda, enseignante dans un lycée, s'estime, quant à elle, heureuse d'avoir droit à 20 000 DA mensuellement alors que son salaire est deux fois plus important. « Ce qui me revient n'augmente jamais, même si l'Etat revalorise les salaires », raconte-t-elle en concluant par un « Allah Ghaleb » d'acceptation mêlé de dépit. Une moitié du traitement pour son mari et l'autre pour son père est la solution imposée à Saliha qui explique qu'un tel arrangement lui permet d'« avoir la paix » et de ne froisser la susceptibilité ni de son géniteur ni de son époux.