L'université M'hamed Bouguerra de Boumerdès (UMBB) bouillonne depuis quatre jours. La décision de transférer les étudiantes de la résidence universitaire de l'ex-INH de Boumerdès vers celle dite Ziani Lounès pour faire de la première une cité réservée exclusivement aux garçons et la deuxième aux filles, démantelant ainsi le caractère mixte de ces deux résidences, préservé jusqu'ici malgré le vent de l'intolérance qui a secoué tout le pays, n'a pas manqué de mécontenter les étudiants et étudiantes, s'opposant ainsi à la mainmise islamiste sur l'université. Hier, pour la troisième journée consécutive, ils ont organisé une manifestation dans l'enceinte de l'université, occupant les locaux des œuvres universitaires, pour dénoncer la « soumission de l'université à des considérations politiques et idéologiques ». La veille, ils étaient sortis, pendant la nuit, crier leur colère dans la rue, mettant les responsables à tous les niveaux dans l'embarras. Durant la journée de lundi, ils manifestaient pacifiquement pour dénoncer la « décision unilatérale de la direction des œuvres universitaires de mettre fin à la mixité dans les cités ». Des dépassements ont été commis à leur encontre par des « agents de sécurité zélés qui ont usé de barres de fer contre les étudiants, blessant plusieurs d'entre eux ». Certains ont dû être évacués chez le médecin. Ils se sont fait délivrer des certificats médicaux et ils ont déposé plainte contre leurs agresseurs. Des filles, qui se sont mises de la partie pour s'opposer à la décision, ont été traitées de tous les noms, leur reprochant de défendre la mixité pour en jouir. Loin d'être si égoïstes de vouloir défendre des intérêts mesquins se résumant à de meilleures conditions de vie, ou des charges passionnelles, les contestataires, filles et garçons, s'élèvent contre « l'arrière-pensée idéologique derrière cette décision ». Bien que les responsables de l'UMBB s'en innocentent et rassurent qu'« il n'y a rien de tel dans notre démarche ». Hier, lors d'une conférence de presse conjointe, la rectrice, Mme Kesri Rafika, et le responsable local des œuvres sociales, M. Bouyahiaoui, ont insisté que « loin d'être une velléité de démanteler la mixité, la décision de mettre les filles à la cité Ziani et les garçons à l'ex-INH obéit à des impératifs de gestion ». « Nous nous interdisons de faire de la politique au sein de l'université et toutes nos décisions ne sont prises que dans le souci de préserver l'intérêt de l'étudiant. Je comprends l'opposition de ces étudiants, que j'ai d'ailleurs reçus dans mon bureau : il n'est pas facile de changer de lieu auquel on est habitué. Mais l'étudiant doit savoir que s'il est de son droit de réclamer une prise en charge effective, il n'a pas le droit cependant d'imposer son choix à l'administration », a dit la rectrice. Le directeur des œuvres sociales a, lui, déclaré que « des étudiantes qui résidaient à l'ex-INH se plaignaient du fait qu'elles devaient sortir chaque soir pour aller rejoindre le restaurant situé à l'extérieur de la cité. C'est donc aussi pour des raisons de sécurité que nous avons pris cette décision ». Mais cela ne convainc pas trop : au plus fort de la crise sécuritaire, qui dure depuis 16 ans au moins, les jeunes étudiantes se rendaient chaque soir dans le même restaurant sans qu'on n'ait songé à les mettre à l'abri. Il existe en outre un passage reliant la cité audit restaurant via le campus qui ferait l'économie de tout un détour, mais qu'on a préféré garder fermé un moment. En outre, c'est aux forces de sécurité qu'il appartient de sécuriser un parcours de 200 m au centre-ville. Mais les relents idéologiques de cette affaire sont indéniables. La décision n'émane pas des responsables locaux. Ils savent, eux, que la mixité n'a jamais posé problème. Et ils savent que la stabilité que réclament ces étudiants est un facteur déterminant dans leur parcours. Mais la mesure s'inscrit en droite ligne avec la « détermination » du wali de Boumerdès, Brahim Merad, de « ne plus jamais accorder d'autorisation de commercialisation d'alcool dans la wilaya et de fermer les bars à chaque fois que l'occasion se présente ». Lui qui était premier responsable à Tiaret lorsque l'affaire Habiba éclata : une jeune femme arrêtée et traduite devant le juge pour le simple fait de transporter quelques exemplaires de la Bible. Mais tout le monde est soumis aux exigences d'une feuille de route. C'est en définitive les symboles de l'ouverture, du respect, de la tolérance qui s'effacent l'un après l'autre à Boumerdès où, plus qu'ailleurs, la bataille idéologique revêt une importance capitale. Et cette fois, c'est un point névralgique qui est ciblé : l'université. Ce que les terroristes ne sont pas parvenus à imposer avec les armes se réalise aujourd'hui en douceur avec la bénédiction de commis de l'Etat. Ici, le deal entre les décideurs du système et les islamistes se traduit par des actions concrètes. L'Arabie Saoudite vient d'annoncer l'ouverture de la première université mixte de son histoire. Juste avant le Ramadhan, le royaume wahhabite a annoncé la décision de limiter désormais l'usage des haut-parleurs des mosquées uniquement pour l'appel à la prière. C'est désormais à l'Algérie qu'il appartient de continuer la « croisade » contre les valeurs universelles. Le relais est entre de « bonnes mains ».