Poutakhine, c'est le roman d'un auteur qui prend le risque de déplaire. Présent jeudi dernier à la filmathèque Mohamed Zinet (Riadh El Feth), Mehdi El Djezaïri, pseudonyme du responsable d'un institut de sondage connu sur la place d'Alger, affirme d'entrée qu'il n'a pas trouvé d'éditeurs en Algérie. « J'ai eu des refus directs ou indirects de la part d'éditeurs privés. Aucun n'avait osé le prendre sur lui remarquant la teneur critique du roman. Le contenu ne plaisait pas assurément. Il y a eu même un imprimeur qui l'a décalé », insiste-t-il en indiquant que le roman paraîtra en France chez L'Harmattan, mais aussi en Belgique, aux éditions Osé Dire. Des éclaircissements, l'auteur affirme qu'il en faut beaucoup pour faire comprendre les raisons qui ont poussé l'auteur qui « s'est trouvé souvent derrière la tapisserie », à écrire ce livre dérangeant. « Le texte n'est pourtant pas écrit au vitriol, comme le présentent certains. Je n'insulte personne, mais je m'en prends à ceux qui poussent ce pays à sa perte. Si quelqu'un travaille pour le bien du pays, on ne peut qu'en être solidaire », assène-t-il. L'auteur indique que son roman est tiré de faits réels. « Je n'ai rien inventé, tout y est vérifiable. Le livre relève toutefois pour une partie de la fiction, mais aussi de l'essai », explique-t-il. L'auteur affirme avoir côtoyé les personnages « de papier » au gré des rencontres hasardeuses de la vie. Le harrag souffrant, le professeur de neurologie, Poutakhine, le colonel des services spéciaux, le curé haut en couleur, Sophie la biologiste, mais aussi une vache, Marquise, ont tous un « alter ego » en chair et en os dans la vie réelle. « Cela fait plus de 20 ans que je parcours l'Algérie, j'en connais les moindres recoins. Ce qui m'a touché le plus, c'est de voir le phénomène de harraga prendre l'ampleur qu'on lui connaît aujourd'hui. J'ai pu mesurer l'étendue de la souffrance des jeunes et de leurs parents en les côtoyant de près. Les jeunes qui veulent gagner à la nage l'autre rive ont des raisons de le faire », relève-t-il en mettant en avant la « bêtise » des gouvernants et une situation catastrophique qui a « macéré » au lendemain de l'Indépendance. La critique est acerbe : « Comment s'en prendre à ces harraga que la situation du pays pousse à la fuite. Depuis plus de 40 ans, on voulait insidieusement que l'Algérien ne pense qu'à manger et dormir. Les jeunes attendent une certaine qualité de vie qu'ils ne trouvent plus », assure Mehdi qui fait de la souffrance des clandestins la « trame » de ce livre touffu et agaçant par moments. En plus de l'« Algérie d'en bas » qui souffre, l'auteur affirme avoir approché les décideurs qui ne font pas trop cas des propositions. L'homme qui a fait du sondage d'opinion son métier donne une preuve : « Nos responsables veulent des sondages qui flattent. J'ai fait un sondage sur la ville commandé par Boukerza. Il s'est retrouvé au fond d'un tiroir, l'expérience pouvait pourtant servir pour mener des politiques sérieuses, mais qui en voulait vraiment ? » Un intervenant mettra en avant les « mérites de l'auteur ». « Connaître à la fois les hommes qui sont au pouvoir et ceux qui le subissent et les confronter est rare », assure-t-il. L'écrivain aigri s'en prend, par ailleurs, à une France « raciste » qui cherche à « mettre sous tutelle » les habitants de ce côté-ci de la Méditerranée. « Nous détestons ce racisme insidieux, caché ». Un bémol néanmoins : « La France supérieure, celle des idées, nous l'aimons. Parmi les Français, il y a ceux qui défendent la dignité humaine. Notre guerre en témoigne », assure-t-il. Mehdi El Djazaïri affirme qu'il écrira désormais de plus en plus. « Auparavant, des raisons alimentaires m'ont obligé à travailler plusieurs heures par jour, maintenant que mes trois enfants prennent la relève (l'institut de sondage), j'ai le temps d'écrire. J'écris jusqu'à six heures par jour », affirme-t-il.