Elles serviront malheureusement, une nouvelle fois, à sauvegarder les acquis de ces derniers et la pérennité de leur système qu'à asseoir la démocratie. L'onde de choc des «révolutions arabes» étant, de l'avis des décideurs, suffisamment amortie, aucun obstacle ne s'oppose alors pour eux d'engager une nouvelle supercherie politique leur permettant de renvoyer aux calendes grecques l'alternance du pouvoir en Algérie. Pour donner crédit à ces échéances, et amener certaines forces politiques de l'opposition à y participer, le pouvoir ne s'est pas privé de les auréoler d'un caractère sacré, de les comparer au 1er Novembre 1954 et de suggérer, par la fine bouche, que la prochaine assemblée sera une constituante. Mais pour les citoyens, les enjeux sont claires : les élections du 10 mai prochain seront principalement animées par les prédateurs de l'Algérie et profiteront encore à ceux qui ont fait main basse sur la rente pétrolière. En échange, les nouveaux députés percevront, comme c'est souvent le cas dans les systèmes corrompus et corrupteurs, des avantages et des indemnités que seules les attitudes vassales peuvent expliquer. L'augmentation du nombre de sièges, décidée en dernière minute, ne participera en fin de compte qu'à augmenter le nombre de bras qui vont se lever pour avaliser les décisions des maîtres de l'ombre. Pour les plus avertis, l'avatar du système hérité de l'époque du parti unique FLN n'est pas près de remettre les destinées du pays aux nouvelles générations, et la transition ne se fera qu'entre les membres d'une caste qui s'est transformée, peu à peu, en véritable oligarchie. L'aisance financière aidant, il est même à craindre qu'à l'issue de ces élections, on réserve un autre tour de vis sur les libertés publiques et individuelles. Les partis politiques démocrates, à ancrage kabyle, au lieu de s'unir et d'avoir une position commune sur ces échéances, n'ont malheureusement pas failli à leur divergence coutumière au point de conclure que pour eux finalement l'enjeu politique est non pas l'alternance au pouvoir mais l'alternance dans la participation aux élections. Cette dérive politique est à elle seule explicative du désarroi et du trouble dans lesquels on veut jeter une nouvelle fois l'opinion démocratique. Il est à craindre que les positions de l'un et de l'autre ne soient motivées que par des raisons organiques visant au maintien, même en situation végétative, de leurs appareils politiques au lieu d'engager une véritable coalition démocratique. La primauté du politique dont se prévalent certains pour justifier leur participation, tout en sachant qu'ils ne récolteront dans leur aventure solitaire qu'une présence factuelle dans la future assemblée, sera vite démentie au lendemain de ces élections. Les expériences récentes dans les pays du Maghreb ont démontré que l'échec des démocrates est inévitable quand ils s'engagent en rangs dispersés. Se focaliser sur le système et ne rien faire avec ses alliés politiques objectifs relève au mieux du narcissisme politique et au pire de l'acceptation d'une nouvelle aventure avec l'islamo-conservatisme. La Kabylie, qui a été par le passé récent le bastion de la revendication démocratique, doit-elle accepter d'être assimilée ou réduite à une zone de repli ou une terre de consolation des défaites inéluctables ? Songer que ceux qui gouvernent le pays, ou mieux ceux qui le régentent depuis maintenant un demi-siècle, vont s'accommoder d'un changement profond, c'est faire preuve de myopie politique. Pour autant, il faut bien se poser la question du comment en venir à bout et en finir avec ce système. Pour nous, autonomistes kabyles, la question centrale est d'abord de l'ordre constitutif de la nation algérienne ; et avant d'aborder les questions politiques, il faut repenser l'Etat algérien de manière à ce que celui-ci cesse d'être en contradiction, voire en affrontement, avec la nation algérienne. Un débat profond et ouvert à toutes les sensibilités politiques, à tous les courants d'opinion doit être engagé pour sortir de l'héritage colonial et celui du parti unique et engager une réforme constitutionnelle et institutionnelle profonde qui puisera ses sources dans les exigences de la modernité, du respect de la diversité culturelle, de 1'histoire millénaire de l'Algérie et de la volonté de bâtir une république commune. Pour nous, la réforme de l'Etat qui conduirait à la reconnaissance des autonomies régionales, avec des pouvoirs réels et étendus, est une nécessité historique qu'on ne saurait différer indéfiniment. Nous saluons d'ailleurs l'évolution récente du discours du RCD sur cette question. Elle nous permettra certainement de trouver un terrain de convergence politique même si nos démarches sont différentes. Au régionalisme souterrain qui mine les institutions de l'Etat et qui fait des ravages dans la société, il y a une alternative à construire : celle d'une nouvelle république où les citoyens seront réellement représentés et défendus dans leurs droits fondamentaux, mais aussi dans leur devoir d'œuvrer au bien-être général et à la sauvegarde du patrimoine du pays. La déliquescence des institutions, le recul de la loi devant les barons et les insurrections populaires récurrentes sur le seul aspect social ne sont pas de nature à arrimer l'Algérie dans le XXIe siècle. La Kabylie, qui s'est installée dans le combat démocratique populaire depuis au moins 1980, ne peut servir l'Algérie que si on met fin à son instrumentalisation par les uns et sa stigmatisation par les autres. Electoralement elle est, sauf à vouloir se voiler la face, une minorité passive qui ne fera que cautionner le régime. Mais politiquement, elle peut être une force active vers le changement démocratique si on lui accorde un statut politique spécifique. Les expériences sont multiples dans l'histoire où le combat des régions a donné un coup d'accélérateur dans l'évolution de leurs pays vers le progrès. Les démocrates algériens, et surtout les progressistes, ne peuvent trouver un meilleur allié que la Kabylie dans le combat pour la modernité politique et culturelle. Mais celle-ci a besoin d'être confortée pour que les acquis démocratiques, qu'elle a pu préserver, ne soient pas balayés par la nouvelle vague de l'islamisme sur laquelle tout le monde surfe, y compris les nouveaux maîtres penseurs de l'Occident. Aussi, pour nous autonomistes kabyles, même si nous nous sentons profondément concernés par le devenir national algérien, on ne peut pas faire l'impasse sur notre identité propre et mettre celle-ci dans le jeu des élections. Ce n'est pas faire preuve de communautarisme ou de racisme que de considérer que chaque peuple a le droit (le devoir) de préserver son identité, sa langue et sa culture. La Kabylie, pour avoir tant donné et souffert, a besoin aujourd'hui d'être confortée dans ses valeurs et reconnue comme une région avec de larges prérogatives politiques. Certains nous accusent de vouloir isoler la Kabylie du reste du pays et de construire un ghetto. Cette thèse a été malheureusement confortée par certaines déclarations aussi irresponsables que fantaisistes venues de l'autre côté de la Méditerranée. Mais si on s'attarde un peu sur le projet que nous défendons, il est facile de comprendre que notre objectif politique vise à l'intégration nationale sur des bases réelles et historiques, sans aucun renoncement ou reniement identitaire, et à mettre fin à une unité nationale de façade imposée par le pouvoir central par la force et la puissance de l'argent. Pour notre part, au lieu de considérer Hassi Messaoud comme un simple puits de pétrole, nous voyons en elle une région avec des populations qui ont une culture, une histoire et certainement des attentes dans les domaines économiques, sociaux et culturels. L'Algérie du pétrole est éphémère; celle pour laquelle nous militons, et pour laquelle se sont sacrifiées plusieurs générations, est éternelle. S'il est besoin de relever l'anachronisme existant entre la société et les structures de l'Etat, c'est ce contraste que nous avons vécu lors des dernières intempéries. Face à la démission de l'Etat devant ses responsabilités, nous avons enregistré avec fierté et bonheur cette formidable mobilisation citoyenne qui est venue en aide à la Kabylie de tous les coins de l'Algérie. Le courage des intervenants pour le désenclavement des villages mérite à cet égard notre profonde reconnaissance. La dépossession des élus locaux et régionaux de leurs prérogatives élémentaires conjuguée à absence flagrante de l'Etat central a mis en évidence l'échec de la centralisation dans les pires moments vécus par les populations. L'Algérie peut se construire par tous et pour tous. Mais pour se faire, il faut mettre fin à la gabegie politique et arrêter de tourner le dos à la nation algérienne et à son histoire. Celle-ci est multiple et plurielle et ne se consolidera que par ses régions. Les derniers développements en Libye et en zone subsaharienne montrent à quel point sont fragiles les institutions de l'Etat quand celles-ci sont greffées par la ruse politique et l'autoritarisme et comment elles souffrent d'impuissance à contrôler les territoires faute de légitimité populaire. A la veille du printemps berbère, dont nous commémorons le 32e anniversaire, notre souhait est que le Maghreb reprenne de manière pleine et entière sa dimension amazighe : le renouveau politique passe aussi par la reconnaissance de cette réalité culturelle et linguistique supranationale. Parce que tant que les pouvoirs en place persisteront dans l'option du Maghreb arabe, on restera dans la mutilation identitaire et culturelle. «Taqbaylit mebla tamurt n leqbayel am -mexxam mebla sqqef».