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Le mouvement autonomiste kabyle à l'heure de la refondation
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Aucun gouvernement autoproclamé n'a les attributs pour mettre en place des institutions officielles pour la Kabylie. Il revient au peuple d'en décider dans le cadre d'une loi organique, votée par ses représentants élus, et en parfaite conformité avec une Constitution algérienne reconnaissant le droit aux régions de s'autogouverner.
Près de dix ans nous séparent de l'émergence du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (le MAK) sur le terrain politique en Algérie, et ce, au cours d'épreuves sanglantes orchestrées par le pouvoir algérien contre la jeunesse kabyle dans une quasi indifférence nationale. Pour avoir participé à la création de ce mouvement, nous nous sentons plus que jamais interpellés par les orientations politiques et idéologiques engagées actuellement en son nom.
Nous souhaitons que notre contribution apportera les éclairages nécessaires aux militants et aux sympathisants de l'autonomie de la Kabylie ou, à tout le moins, permettra d'ouvrir un débat à la hauteur du projet que nous défendons. Comme chacun le sait, les militants ayant fondé le Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie sont tous issus du Mouvement pour la culture berbère et le combat pour les libertés démocratiques en Algérie.
Le combat de certaines personnalités, grâce à un engagement des plus dévoués et un sacrifice des plus grands, a grandement contribué à la préservation des rares espaces de liberté qui existent aujourd'hui. Ce combat nourri par plusieurs générations de militants, et dont le point d'orgue a été le Printemps berbère de 80, doit être non seulement préservé, mais aussi être réapproprié dans la mémoire collective comme un repère historique. Ne l'oublions pas, dans les années 80, ils étaient rares les soulèvements populaires dans le monde ayant eu pour résonance la démocratie, la liberté d'expression et le respect des cultures populaires. Aussi, ne serait-ce pour un besoin de fixer une fierté, le 20 avril 1980 doit être célébré comme un moment d'éveil et d'ouverture d'une conscience collective sur le monde.
Si nous revenons sur cette période charnière de notre histoire politique moderne, c'est parce que nous avons le sentiment qu'il y a comme une tendance, dans le discours de certains autonomistes, de considérer que l'histoire politique a commencé en 2001, et que tout ce qui lui est antérieur fait partie de la «préhistoire». A trop vouloir faire dans la rupture, on tombe dans le pire travers, à savoir l'amnésie. Les raccourcis politiques tiennent lieu de stratégie, au point de confondre l'objectif avec les moyens. La création du gouvernement provisoire kabyle en France est d'abord et avant tout une initiative qui s'inscrit en faux contre les valeurs démocratiques que nous avons toujours défendues. Tout gouvernement démocratique, jusqu'à preuve du contraire, doit émaner de la volonté populaire à travers le suffrage universel.
Et si les conditions de son expression par cette voie ne sont pas encore réunies, c'est pour une raison simple : nous n'avons pas créé le rapport de force nécessaire pour l'imposer au pouvoir central. Le MAK, à sa création, s'est formellement interdit de s'inscrire dans une perspective de prise de pouvoir. Cet engagement que nous avons tenu dans les rencontres publiques doit être respecté. Des voix, en mal d'inspiration, ont fait le parallèle avec le GPRA pour légitimer la création du GPK. Au-delà de la légèreté de cette conjecture historique, on opère des glissements sémantiques laissant suggérer qu'on n'est plus dans une revendication autonomiste, mais indépendantiste. Dans la proclamation faite le 21 avril 2010 à Paris, il a été dit que «le GPK aura pour mission de mettre en place les institutions officielles de la Kabylie et de représenter celle-ci auprès de la communauté internationale. Il durera jusqu'à la reconnaissance officielle de la Kabylie en tant que peuple et en tant que nation par l'Etat algérien». Il est à se demander, à ce niveau, par quel truchement on a fait exprimer le peuple kabyle au point que certains se sentent mandatés à l'effet de l'engager dans cette voie.
Imposer un gouvernement à un peuple, par la nécessité historique, est une vielle recette des dictatures. Mais la cuisiner au XXIe siècle est devenu une entreprise difficile. Aucun gouvernement autoproclamé n'a les attributs pour mettre en place des institutions officielles pour la Kabylie. Il revient au peuple d'en décider dans le cadre d'une loi organique, votée par ses représentants élus, et en parfaite conformité avec une Constitution algérienne reconnaissant le droit aux régions de s'autogouverner.
On nous reprochera peut-être de faire dans l'utopie, mais nous sommes convaincus qu'il n'y a pas d'autre voie salutaire pour la Kabylie. Les incohérences, voire les contradictions, entre la démarche et le discours politique ne sont pas de nature à favoriser l'affirmation d'une conscience populaire autour de la revendication pour l'autonomie de la Kabylie. Elles prêtent, au contraire, le flanc à tous ceux qui veulent jeter le trouble autour de cette revendication en la dévoyant et en la dénaturant. Il est bon de rappeler que nous avons autant la responsabilité sur la nature du projet que nous défendons que sur les dérives auxquelles veulent l'arrimer certains cercles au pouvoir, lesquels n'hésiteront pas, une nouvelle fois, à opposer les populations les unes contre les autres.
L'autonomie de la Kabylie est une construction qui va nécessairement bouleverser l'architecture des institutions de l'Etat algérien et porter fatalement un coup à la nature du régime qui tire sa légitimité de la distribution de la rente pétrolière. Pour cette raison, il ne faut pas se faire d'illusion, la réaction du pouvoir face à ce projet va s'exprimer de manière violente, et celui-ci n'hésitera pas une nouvelle fois à mettre en avant la menace de la «division du pays». Ayant nous-mêmes subi le «formatage» idéologique d'un Etat qui ne peut être que centralisé, c'est progressivement que nous avons opéré les ruptures nécessaires pour entrevoir des alternatives capables de nous permettre de vivre pleinement notre identité en tant que peuple kabyle, sans pour autant renier notre algérianité. Il faut se donner alors le temps nécessaire pour que ces évolutions soient opérées dans la conscience collective par la force d'un débat contradictoire et démocratique.
S'il y a bien un piège dans lequel il ne faut pas se laisser enfermer, c'est cette grossière manipulation du pouvoir central qui, non satisfait d'avoir privatisé l'Etat et ses institutions, s'essaye d'incarner l'Algérie millénaire et multiculturelle par de l'agitation folklorique. Nous avons vu comment une qualification vers la Coupe du monde de football a été récupérée à la seule fin de donner une bouffée d'oxygène à un système sclérosé. Les militants du MAK et, plus largement, tous les autonomistes, doivent se garder, dans un ultime repli sur soi, de se faire déposséder de leur algérianité. Ici, nous ne prêtons pas oreille à ceux qui ressassent notre «part de pétrole» comme peuvent le penser certains, mais nous évoquons la participation historique du peuple kabyle à l'édification d'un Etat souverain.
Nous l'avons écrit ailleurs, les autonomistes doivent engager leur combat autour d'un nouveau contrat d'unité nationale qui reconnaîtra par une réforme constitutionnelle le droit du peuple kabyle à s'autogouverner dans les limites de son territoire et dans le respect des attributions qui sont dévolues aux gouvernements régionaux. Ce nouveau contrat d'unité nationale doit puiser sa légitimité et ses références des résolutions de la plateforme du Congrès de la Soummam, qui a fédéré les six Wilayas historiques. Il y a lieu de signaler qu'à l'indépendance nationale, l'insurrection armée du FFS en 1963, et qui s'est soldée par des centaines de morts, est à mettre à l'actif de la Kabylie comme une tentative de redressement de l'Etat algérien sur les fondements de la révolution algérienne consacrés par ce Congrès.
En rappelant ces quelques principes de base, nous voulons éviter que des forces occultes viennent perturber la trajectoire du Mouvement pour l'Autonomie de Kabylie et poussent ce dernier vers des positions politiques et idéologiques contraires aux valeurs que nous avons toujours défendues. L'ouverture vers l'universel, la démocratie politique, la liberté et la laïcité qui ont animé et alimenté nos combats d'hier et d'aujourd'hui ne peuvent être utilisées comme des tremplins, afin d'occulter les réalités sociologiques et culturelles de la Kabylie. A l'arabo-islamisme encouragé et alimenté par le pouvoir, il n'y a pas lieu d'opposer une nouvelle mystification religieuse. Si les libertés de conscience et de culte doivent être défendues, en aucun cas elles ne doivent constituer l'étendard du Mouvement pour l'Autonomie de Kabylie. La Kabylie profonde est en attente d'un lien solide entre les élites et son peuple. Ce lien pour le nouer, il faut, pour paraphraser un célèbre Président américain, «se demander non pas ce que peut faire la Kabylie pour soi, mais ce qu'on est capable de faire pour la Kabylie». L'université, qui a été par le passé le lieu fécond de toutes les contestations démocratiques, est aujourd'hui tombée dans une marginalisation à un point tel que seules des solutions individuelles, généralement l'exil, sont proposées à notre jeunesse.
Pour des raisons d'efficacité, et aussi pour des considérations éthiques, il revient d'abord à ceux qui portent le projet en Kabylie de prendre entre les mains la revendication l'autonomie de la Kabylie. L'immigration, qui n'a jamais cessé d'assumer ses responsabilités historiques, doit rester le relais d'un combat, un soutien dans le désarroi et une voix forte devant l'opinion mondiale. Il faut faire preuve d'intelligence et d'esprit fédérateur, afin de préparer un cadre populaire où toutes les compétences et les bonnes volontés peuvent s'exprimer en parfait accord avec nos traditions démocratiques. Si nous arrivons à donner au mouvement autonomiste une base populaire aussi large que celle que s'est donnée le MCB par le passé, l'espoir est permis de voir notre revendication aboutir rapidement. La refondation du mouvement autonomiste, sur des bases claires et saines, est plus que jamais nécessaire. Si la gestion d'appareil peut paraître efficace, il est par contre certain qu'elle enlève à la revendication tout son caractère populaire. Or, l'enjeu fondamental actuel est justement de faire de l'autonomie une voie d'espérance et de réalisation des attentes de la plus grande majorité de Kabyles.
La jeunesse kabyle, qui est réduite actuellement à ne s'exprimer que par l'émeute, a besoin d'un cadre rassembleur dans lequel elle doit discuter de ses problèmes récurrents pour envisager un avenir meilleur. Le courage politique aujourd'hui est d'aller à la rencontre de cette frange de la société, qui a pour horizon une hypothétique place dans l'immigration.
Des bouleversements sont en train de se produire dans la sphère du monde arabo-islamique, des poussées populaires pour mettre fin aux dictatures vont de proche en proche. Ces changements, qui vont arriver fatalement en Algérie, nous interpellent et nous commandent de les accompagner dans la voie démocratique. Hier, par générosité ou par sentiment d'une vocation, nous nous considérions comme une locomotive démocratique en Algérie. Aujourd'hui, par devoir d'humilité, Il faut chercher les solidarités démocratiques où qu'elles se trouvent pour construire un avenir partagé en Algérie sans reniement aucun de notre revendication principale : le droit du peuple kabyle de prendre son destin entre les mains.


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