A l'issue de la réunion tenue le 30 décembre 2016 à Tizi Ouzou, les animateurs du Manifeste kabyle ont réaffirmé leur décision d'aller à une convention politique — qui se tiendra en février prochain — et ont, pour la circonstance, rendu public l'appel suivant. Le 7 décembre 2014, nous avons rendu public le Manifeste pour la reconnaissance constitutionnelle d'un statut politique particulier de la Kabylie. Ce texte, qui s'inspire largement des contributions individuelles et collectives de militants et universitaires autonomistes, a reçu un écho favorable certain dans les milieux politiques et dans la société civile kabyles. Il a permis d'ouvrir le débat sur des questions de fond donnant une vision basée sur des paradigmes nouveaux. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles il a été apprécié comme une contribution intellectuelle pouvant servir de référence à un texte politique fondateur. Pourquoi une Convention Politique aujourd'hui ? La convention politique, à laquelle nous invitons les militants autonomistes, répond d'abord à un besoin de rassemblement d'une famille politique qui a un projet crédible, réfléchi et réalisable. Crédible parce qu'il peut répondre aux aspirations actuelles du peuple kabyle. Réfléchi du fait qu'il est le produit d'un débat riche et pluriel engagé depuis près de vingt ans, et enfin réalisable car il reprend, en intégrant certaines adaptations, les expériences de certaines communautés qui ont fait le pari de sortir de l'Etat-nation pour construire des nations multiculturelles. Et si aujourd'hui, plus qu'hier, les conditions sont réunies pour ce rassemblement, c'est aussi parce qu'une décantation s'est opérée sur la scène politique kabyle. Notre projet politique se distingue des autres options portées par les partis nationaux à ancrage kabyle et du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie qui vient de clarifier sa position en optant exclusivement pour l'indépendance de la Kabylie. Auparavant, notre engagement sur le terrain aurait probablement jeté le désarroi dans l'opinion kabyle et aurait été perçu comme une énième division. Si la Kabylie a toujours aspiré à l'unité de ses enfants, il n'en demeure pas moins qu'elle a toujours admis le pluralisme quand ce pluralisme est le résultat de la diversité d'opinions et non l'expression de leaderships individuels. Pour réaffirmer une question de principe, dans son acception kabyle, «taqbaylit», nous reconnaissons à tout un chacun le droit de défendre librement ses opinions et ses options de manière pacifique, tout comme nous nous engageons sur l'exigence de la légitimité démocratique et au respect de la volonté du peuple kabyle. La convention politique sera l'occasion de donner un prolongement politique au Manifeste kabyle par la définition des principes directeurs du statut politique particulier à soumettre, après son élaboration, au débat dans la société kabyle. Au préalable, il faut fixer le cadre théorique pour éviter que l'action politique, avec ses aléas, nous conduise vers un essentialisme réducteur. C'est, en effet, en se donnant une armature conceptuelle solide qu'on pourra maintenir notre cap politique et nourrir de manière permanente notre projet. Dans le Manifeste kabyle, nous avons évoqué deux grands fondements : le multiculturalisme et la démocratie consensuelle ou démocratie consociative. Il s'agira de les expliciter et de montrer en quoi ils peuvent constituer des réponses à la problématique des sociétés plurales comme c'est le cas de l'Algérie. Le multiculturalisme, parce qu'il implique la reconnaissance et la consolidation des communautés et peuples et la socio-diversité, ne compromet en rien l'intégration et la démocratie. Au contraire, nous l'avons déjà affirmé, c'est par la reconnaissance de son identité propre que la Kabylie pourra être elle-même, sortir de la déculturation et contribuer à la cohésion de la communauté nationale. A ce titre, il s'agit de mettre le pouvoir algérien devant sa responsabilité en l'invitant à reconsidérer la question de l'unité nationale dans le cadre d'une vision contractuelle où chaque communauté peut faire valoir ses droits, selon les prérogatives qu'elle consent établir dans sa région, en s'appuyant sur l'autorité d'un gouvernement régional et une souveraineté populaire exercée par un parlement régional démocratiquement élu. Longtemps porte-drapeau du combat démocratique en Algérie, la Kabylie, avec son poids historique et politique, n'a paradoxalement qu'un poids insignifiant dans la représentation nationale. Même en cas de Parlement bien élu et jouant convenablement son rôle institutionnel, les élus de Kabylie, largement minoritaires, ne peuvent aucunement influer dans les décisions soumises au vote. Pour en finir avec cette situation, il faut sortir définitivement du système de démocratie majoritaire, valable pour les sociétés homogènes culturellement et linguistiquement. Pour les sociétés plurales, comme l'Algérie, c'est le système de démocratie consensuelle qui répond le mieux aux attentes des citoyens. Plusieurs exemples dans le monde montrent le bien-fondé et la pertinence d'un tel système démocratique (tel le Québec par rapport au Canada, pays bien connu de nombre d'Algériens). Il y a un déni de démocratie si une communauté se considère, à juste titre, prisonnière de la loi de la majorité en subissant de façon permanente la domination de celle-ci. Il est clair que si la politique hégémonique du pouvoir venait à se poursuivre comme c'est le cas aujourd'hui, celui-ci portera la responsabilité des graves conséquences du déni des droits collectifs légitimes des communautés et peuples d'Algérie en continuant à ouvrir le champ aux conflits avec les risques de violence et de division. Les objectifs organiques de la Convention Politique La convention politique doit naturellement aboutir à la formalisation d'un cadre organique pour porter le projet politique pour une Kabylie autonome dans une Algérie plurielle et démocratique. Ce cadre, se gardant de s'ériger comme un nouvel appareil, aura aussi à innover dans le fonctionnement démocratique sur le plan interne. Et pour donner toutes ses chances à cette initiative, l'association de tous les militants autonomistes est souhaitée. La convention politique sera sanctionnée par un appel signé collectivement pour convoquer les assises du mouvement, et une commission préparatoire sera installée à cet effet. Sur le plan historique, ce mouvement politique se construira dans le prolongement des luttes pour l'identité amazighe, les libertés individuelles et collectives et la démocratie. Même si nous avons introduit une rupture dans la pensée politique, nous demeurons liés au repère historique du Printemps berbère de 1980 et à l'héritage légué par les militants berbéristes de 1949. Le travail de déconstruction de l'Etat-nation appelle à inscrire notre démarche dans la durée. Nos actions seront d'abord dirigées vers l'encadrement de la société kabyle, sans s'ériger en tutelle, pour l'émanciper de manière graduelle et soutenue de l'emprise du système rentier et patrimonial. L'implication des acteurs sociaux et économiques de la région conditionne notre réussite. Les défis auxquels nous devons faire face sont multiples. Face au pouvoir algérien, corrompu et autoritaire, nous aurons à faire face aussi au courant islamiste qui s'installe de manière insidieuse dans les réseaux clientélistes et le tissu associatif, sous couvert de l'action de bienfaisance. Le projet politique, pour ne pas s'éloigner des réalités sociales, prendra appui sur trois axes principaux. Le premier est un travail soutenu sur le terrain politique pour une meilleure socialisation de l'idée de l'autonomie ; le deuxième est dans la mobilisation de toutes les énergies et les compétences installées à l'intérieur comme à l'extérieur de la Kabylie, autour de projets concrets de développement ; enfin l'implication des citoyens par l'encouragement et la généralisation de ce que font certains villages dans l'amélioration du cadre de vie, la solidarité et la préservation de la culture et de l'environnement. Malgré le contexte difficile, la convention politique pour une Kabylie autonome doit être un rendez-vous d'espérance, surtout pour la jeunesse kabyle, afin de lui redonner foi dans la lutte politique et la conviction que l'avenir de la Kabylie est entre ses mains. Certes, le chemin pour le recouvrement de notre identité promet d'être long et difficile, mais notre lutte aboutira car il s'agit de défendre notre droit naturel à l'existence. La convention sera aussi l'occasion d'interpeller l'ensemble de la classe politique algérienne sur le fond de la crise politique qui n'est pas simplement liée à une crise de régime mais aussi et surtout à une crise de l'Etat-nation, nécessitant de repenser la structure de l'Etat et de redéfinir la nation. Enfin, la crise sociale, dont les premiers effets se font déjà sentir, peut nous mener vers des lendemains incertains. Il nous appartient de nous rassembler et de nous préparer de façon solidaire pour que ce choc ne vienne pas hypothéquer l'avenir de la Kabylie.