Zadig, la société de production de José Chidlovsky, se demande lucidement : « Peut-on encore aujourd'hui réaliser un documentaire sur des personnes privées de papiers ? ». En effet, ce réalisateur était convoqué ce lundi devant la police de l'air et des frontières de Blagnac pour avoir, non pas fait parler une jeune algérienne en situation irrégulière, mais pour l'avoir hébergée. Pourtant, en s'occupant de cette jeune femme, il restait dans le cadre de son projet de parler de la vie au quotidien des « sans-papiers ». A l'anniversaire de ses 18 ans, explique la société Zadig, « la jeune fille avait déposé en avril dernier une demande de titre de séjour en préfecture de Haute-Garonne. Elle a déclaré à cette occasion être hébergée au domicile de José Chidlovsky. Arrivée à la majorité légale, elle redoutait de devenir une ‘‘sans- papiers'' en âge d'être expulsée. Alors qu'elle était en proie au désespoir, le réalisateur l'a sauvée in extremis d'une tentative de suicide alors qu'elle enjambait la balustrade d'un balcon situé au 11e étage de sa tour ». Face à ce drame, le réalisateur ne pouvait rester de marbre. Depuis ce jour, S. F. vivait donc chez lui, ce qui est arrivé aux oreilles et aux yeux de l'administration puisque au dossier de demande de régularisation, figurait une attestation de Zadig certifiant l'implication sincère et talentueuse de S. F. dans ce projet documentaire et son souci d'intégration. Cela ne suffisant pas, après avoir reçu de la préfecture une « obligation de quitter le territoire français » (OQTF), exécutoire dans un délai d'un mois, la jeune femme vit dans la clandestinité. Après diverses péripéties, au début septembre, José Chidlovsky apprend officiellement que la PAF souhaite l'interroger sur « les conditions de séjour en France de mademoiselle S. F. ». Ayant confirmé la présence de S. F. à son domicile, il apprend faire l'objet d'une procédure judiciaire en qualité d'« aidant ». Convoqué enfin pour le lundi 5 octobre, José Chidlovsky encourt 5 ans de prison et 30 000 euros d'amende aux termes du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Pourtant, estime Zadig, le réalisateur, comme sur n'importe quelle scène de conflit, restait dans son rôle, comme les journalistes qui, sur quelque terrain que ce soit, établissent des contacts sans les justifier, seul comptant au bout du compte le reportage, ou ici le documentaire qui illustre une situation que la position gouvernementale ne peut seule expliquer. « Un film documentaire est en quelque sorte un lieu de rencontre et d'échange entre son réalisateur et ses personnages, un lieu respectueux de l'autre, un lieu d'hospitalité réciproque », estime Zadig qui pense qu' « au-delà, nous voyons planer dans cette procédure inédite entravant le libre exercice de notre activité, la menace de poursuites à venir à l'encontre de la libre parole artistique et journalistique. » Aujourd'hui, plus qu'un réalisateur, ce sont les libertés de création et d'expression démocratique qui semblent suspectes d'activité délictueuse et s'apprêtent à être poursuivies. On devrait reparler de cette triste histoire.