Depuis toujours, la reine des Ziban a eu ses tailleurs et ses couturiers, ses cordonniers, ses potiers, ses sculpteurs de pierre, ses couteliers et autres maroquiniers. La chronique locale rapporte que ces artisans étaient connus et respectés pour leur habileté, la qualité de leurs produits et aussi pour leur sens de la parole donnée et de la promesse tenue. Malheureusement, l'inondation du marché d'effets vestimentaires, de chaussures, de couverts et d'assiettes, de céramique et de carrelage, de sacs et de sacoches importés de Turquie, d'Espagne, du Moyen-Orient et de Chine et les centaines de ballots de fripes ramenés des pays européens depuis des années a eu, en modifiant complètement les goûts et les tendances des clients, des implications sociales et économiques dont la population locale porte encore les stigmates incarnées « par les milliers de jeunes qui ne savent rien faire de leurs mains alors que des milliers de choses restent à créer dans tous les domaines » , dira Saïd, un artisan-tailleur rencontré au quartier El Boukhari qui s'est dit ne jamais avoir été découragé même quand « subvenir aux besoins de la famille est devenu problématique pour les artisans », ajoutera-t-il. Très souvent, des dizaines d'artisans ont entrepris leur reconversion dans une autre activité, le cœur brisé. Ce n'est pas le cas de Saïd, lui, qui a tenu bon et a mangé « son pain noir », entrevoit l'avenir avec sérénité et assurance. A l'instar de beaucoup d'autres tailleurs, qui ont élu domicile dans ce quartier d'El Boukhari, transformé avec le temps en temple de l'habillement féminin, des ustensiles de cuisine, des objets d'ornement et du tissu d'ameublement et de literie, Saïd a « sauvé les meubles à force de détermination, de patience et de passion. » Il officie dans une petite échoppe de tailleur ne désemplissant pas de clientes avec lesquelles il a visiblement établi une relation de confiance. En effet, elles sont juges, avocates, directrices, chefs de services, enseignantes, employées de bureau ou même femmes au foyer, dites « femmes fortes », ne trouvant pas dans les magasins de vêtements de la ville leurs goûts en termes de style et surtout de taille, qui s'adressent à lui pour un pantalon, une liquette, un tailleur, une veste ou un manteau. Toutes reconnaissent en cet artisan-tailleur « le savoir-faire d'un artiste sans égal dans le domaine de la couture sur mesure. » En misant sur cette clientèle aux besoins spécifiques, notre couturier, à en croire les témoignages de quelques-unes de ses clientes, a gagné ses galons et assurer son avenir tant sa réputation est faite. « Avec le prêt-à-porter, quand le haut va, le pantalon s'avère trop serré. Quand la jupe est bien ajustée, le bustier ne se boutonne pas, alors je préfère m'adresser à Saïd. Je suis très satisfaite de lui », expliquera l'une d'entre elles. « Depuis que je fais coudre mes vêtements sur mesure chez Saïd, je me sens bien. Je ne sais pas pourquoi les hommes réussissent mieux dans le domaine de la gastronomie et de la vraie cuisine, dans la couture et la garde des enfants », plaisantera une autre ne tarissant pas d'éloges sur la précision et la finition du travail de celui qu'elle appelle son « meilleur couturier. » Déplorant le manque de répondant des banques « trop frileuses », à son sens, des institutions de soutien aux activités artisanales et des organismes de formation et d'aide à la création d'emplois, Saïd, en « professionnel d'un métier manuel qui ne mourra jamais », insiste-il, compte développer son affaire dédiée aux vêtements amples pour femmes fortes. Dans un premier temps, il pense à monter un atelier de couture doté d'une découpeuse de tissus électronique et informatisée et d'une dizaine de machines à coudre neuves qui emploieraient autant de filles. Dans un second temps, notre ambitieux personnage rêve d'avoir une salle d'exposition pour mettre en valeur ses créations.