La presse est en pleine crise. Quelles seront les conséquences directes sur le métier de journaliste ? Il est évident que la première réaction d'une entreprise de presse en situation de crise est de s'imposer des restrictions budgétaires. Ce qui conduit inévitablement à la réduction des effectifs, au licenciement de journalistes et autres auxiliaires. Je connais un nombre important de journaux, notamment locaux, qui étaient contraints de licencier ; d'autres ont été poussés vers une situation fatale : la fermeture carrément. Même les plus prestigieux journaux, tels que le New York Times, le Washington Post et le Chicago Tribune, ont des difficultés financières graves. Mais la conséquence la plus inquiétante, de mon point de vue, est de voir les genres journalistiques qui nécessitent beaucoup d'argent disparaître. L'on remarque déjà qu'il y a de moins au moins d'enquêtes sérieuses et de journalisme d'investigation. Y compris dans les journaux que je viens de citer, on ne « s'amuse » plus à dépenser des sommes importantes pour réaliser des enquêtes. Cela coûte énormément pour la trésorerie du journal. C'est cela qu'on redoute le plus avec cette crise. Pensez-vous que cette crise est uniquement financière ? D'apparence, elle est économique du fait de la crise globale, mais cela dit, la presse avait sombré dans une crise autre que financière bien avant. Une crise de confiance et de perte de crédibilité en raison d'un certain nombre d'événements importants. Je peux citer, entre autres, la guerre contre l'Irak, l'absence d'anticipation sur la crise économique de 2008 et, bien évidemment, sa liaison dangereuse avec la finance. Ce dernier élément a montré à quel point les médias se sont éloignés de leurs missions essentielles. Cette crise est une chance pour les professionnels des médias de revoir leur copie. Cela aura-t-il un impact politique ? Sans doute. Cela va être un désastre pour notre démocratie. Vous imaginez un instant une presse fragilisée incapable d'enquêter sur ce que fait le pouvoir politique ? Il ne faut pas oublier que la presse est au cœur du système démocratique américain. Sans une presse forte et libre, la démocratie que nous avons bâtie des années durant risque de s'écrouler. L'opinion publique américaine est habituée à prendre des positions souvent en fonction des révélations de la presse sur ce qui se fait au niveau fédéral et local. Une presse fragile et moins libre et fatale pour la liberté d'expression est la démocratie. Mais je ne dis pas que le tableau est aussi sombre qu'on le présente. Certes, la crise est profonde, mais rien n'est perdu. Il suffit de prendre du recul et de trouver le bout du tunnel car il y va de l'avenir de la démocratie et de la liberté. La presse écrite qui fait face à un autre phénomène médiatique, la diffusion de l'information par d'autres canaux (internet et téléphone) est-elle menacée dans son existence ? Il s'agit là d'un autre défi qui doit nous pousser à innover et à imaginer d'autres formes de communication, avec un contenu plus fiable et crédible. Je pense que les nouvelles technologies ne sont pas une menace pour les médias traditionnels ; je dirais qu'ils se complètent dans une certaine mesure. Nous n'avons qu'à voir comment grâce à Twitter nous avons eu la possibilité de savoir ce qui s'est passé en Iran pendant l'élection présidentielle, si je prends cet exemple. Il y a beaucoup d'autres cas où les blogs, FaceBook et les sites internet nous ont alimentés en informations. Bien évidemment, il va falloir réguler tout cela à l'avenir. Mais de là à dire que la presse écrite disparaîtra un jour, je ne le pense pas. On avait dit la même chose de la radio avec l'invention de la télévision. Ce qui va changer, par contre, c'est la façon dont on traitera l'information, la demande citoyenne va être de plus en plus exigeante.