Dans Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l'indépendance au désenchantement (1962-1969) (Editions La Découverte), la journaliste Catherine Simon raconte l'aventure de ces Français instituteurs, médecins, ingénieurs qui ont traversé la Méditerranée avec plein d'espérances et d'illusions, avec le sentiment d'être utiles, sans arrière-pensée ni calcul. Lyon De notre correspondant Après le sanglant conflit de la guerre d'Algérie qui avait marqué durablement les esprits, c'était une façon d'atténuer les douleurs, voire les haines entre le nouvel Etat indépendant et la puissance coloniale. Certains d'entre eux avaient tout quitté en France, sans se retourner, pour relever le défi de la construction idéalisée d'un pays qui renaissait après 132 ans de présence coloniale. Combien étaient-ils ? « Plusieurs milliers certainement, mais le décompte exact est malheureusement impossible à établir », juge Catherine Simon dans son avant-propos, qu'ils soient pieds-rouges ou coopérants. D'ailleurs, d'où vient le terme de pied-rouge. La journaliste tente deux origines. La première est classiquement issue de la tendance politique « rouge » (communiste, extrême-gauche…) des arrivants. La deuxième est plus poétique et renvoie à l'expression de Kateb Yacine qui, quelques mois après l'indépendance, voulant célébrer le nouveau-né d'un docker pied-noir communiste, dans un billet dans Alger Républicain au début de 1963, avait salué la naissance en inventant le tendre surnom de « pied-rouge ». Grand reporter au quotidien Le Monde, Catherine Simon en a été la dernière correspondante à Alger, durant les années 1990. Pour présenter les intentions de son ouvrage, elle balise le terrain par de multiples interrogations, dès l'introduction : « Que s'est-il passé après l'indépendance de l'Algérie en 1962 ? A quoi ressemblait le pays au sortir de la guerre, une fois disparus les bateaux des pieds-noirs, une fois l'improbable tandem Ahmed Ben Bella/Houari Boumediene installé au pouvoir ? Quelles ont été les espérances de ces années-là qui résonnaient des mots de révolution, de socialisme, d'autogestion ? En quoi éclairent-elles le destin de l'Algérie et de ses relations avec la France ? » Estimant que cette période est fort mal connue, elle veut rappeler, dans ce contexte, les itinéraires de ceux qui ont souhaité « réparer les dégâts » du colonialisme. Elle leur donne la parole, réveille le passé. Les souvenirs fusent dans la mémoire de ceux qui rêvaient « de révolution mondiale ». Elle propose une introspection humaine, comme elle l'écrit dans son introduction : « C'est ici que commence notre lent travelling parmi les amis de l'Algérie nouvelle venus donner un coup de main à la jeune République, à sa révolution. Quand je dis ici, je veux dire en France où résident les témoins ou acteurs que j'ai interviewés entre 2007 et 2009. Mais ici, c'est aussi l'Algérie bien sûr - une Algérie lointaine comme leur jeunesse, cette chanson faussée, dit le poète - l'Algérie des années 1960 et des débuts de l'indépendance. Un moment, un pays qui n'existent plus. Restent les souvenirs. De cette mémoire vive, forcément partiale et partielle, que j'ai tenté de recueillir, surgissent, loin des clichés bienséants, les contours d'une société algérienne en mouvement, rarement décrite jusque-là. D'un témoignage à l'autre, des pans de l'histoire algérienne se sont également révélés, au sens photographique du terme. Qui connaît l'affaire du maquis maoïste de Draâ El Mizan, à la fin de l'été 1963 ? Ou l'épopée de l'Ecole du travail créée à Alger dans l'euphorie des premiers pas ? Qui se rappelle la formidable manifestation des femmes, le 8 mars 1965 ? Ou le séjour des Black Panthers, durant l'été 1969 ?. Le 19 juin 1965, la prise du pouvoir par Houari Boumediene a signé la fin d'un cycle », estime-t-elle. Le festival panafricain d'Alger de 1969, dont on a célébré en cette année 2009, le 40e anniversaire en organisant une deuxième édition, clôt symboliquement cette période : c'est par ce « feu d'artifice » que s'achève le livre-enquête de Catherine Simon, documenté et fondé sur les exceptionnels témoignages de dizaines de personnes qui ont vécu ces premières années de l'Algérie nouvelle. Walid Mebarek, Edition La Découverte (Paris, France), collection : Cahiers libres, septembre 2009, 288 pages, 22 ¤.