Ce livre retrace l'histoire de la vague de Français venus en Algérie dès l'été 1962 Quelques ouvrages ont été consacrés aux “porteurs de valises” et au réseau français de soutien au FLN durant la guerre de Libération, mais rares sont les témoignages sur ceux que “l'indépendance ou l'espoir révolutionnaire ont portés” jusqu'en Algérie. Qui sont-ils ? Combien étaient-ils ? Qu'a représenté l'Algérie dans leur imaginaire ? Pourquoi ce choix à rebours des colons qui quittaient massivement l'Algérie en 62 ? Que sont-ils devenus ? C'est ce que tente de démêler l'auteure en donnant la parole aux multiples acteurs anonymes ou célèbres. De l'école du travail aux maisons pour enfants orphelins de guerre, des chantiers de reboisement à Révolution africaine, en passant par le TNA et la cinémathèque, Catherine Simon a élargi son propos en vue de brosser un tableau d'ensemble sur leur engagement. De là, un livre documenté dont l'ambition est double. D'abord, établir - ou rétablir - les faits sur la part prise par les pieds-rouges dans l'Algérie des années 1962- 1969. Ensuite dégager un bilan ou typologie de leurs actions dans le cadre général des événements politiques que l'ouvrage a choisi de mettre en évidence. Le livre appelle une première remarque : pourquoi pieds-rouges ? Ces Français, certes ancrés dans l'opposition intérieure de leur pays-les années 1960 étant celles des contestations à l'université et celles de la lutte contre la guerre- ne constituaient pas un bloc monolithique. L'auteure évoque l'origine controversée du terme : “Selon une première hypothèse, des journalistes de droite, voire d'extrême droite, auraient inventé le mot pied-rouge pour railler cette ahurissante sous-espèce d'oiseaux migrateurs chantant l'Internationale et censée, bien évidemment, appartenir au camp des “rouges, bolcheviks et autres suppôts de Moscou”… Selon une seconde hypothèse, Kateb Yacine aurait voulu célébrer la naissance du bébé d'un docker pied-noir communiste, très populaire à Alger en lui inventant dans un billet d'Alger Républicain ce tendre surnom de “pied-rouge”. Frantz Fanon notait déjà à propos des Européens qui aidaient le FLN durant la guerre que “les autorités françaises ont pris l'habitude de taire cet engagement ou de faire de ces Européens des communistes ; cet artifice de propagande vise deux objectifs : d'abord réamorcer la thèse de l'infiltration communiste en Afrique du Nord dans le dispositif de l'Otan ensuite les discréditer, les présenter comme des agents de l'étranger voire des mercenaires”. La crainte de voir se profiler l'ombre du communisme dans l'Algérie indépendante en pleine guerre froide a-t-elle fait des pieds-rouges un enjeu d'endiguement ou d'influence ? La tentation eût été grande alors que les luttes politico-idéologiques se cristallisaient à cette étape sur l'économie notamment. Autre sujet d'étonnement : il a fallu attendre 2009 pour recueillir ces témoignages. Reste à espérer d'autres monographies tant vaste est le champ à combler. En définitive, le déficit de mémoire favorise d'abord le révisionnisme historique dont l'actualité continue de nous transmettre ses échos. Quant au “désenchantement”, rappelons que les années 1970 ont été marquées par la montée des conservatismes idéologiques en Europe et aux Etats-Unis, et les réorientations des intellectuels qui avaient soutenu le combat anti-colonial. L'historien Claude Liauzu parle de “disparition d'une opposition intérieure à l'impérialisme”, à partir de 1975 en France. Ce livre se veut un simple récit journaliste.Il est utile, car il nous livre le regard de l'autre, celui de l'étranger toujours “étrange”. C. B. * Algérie, les années pieds-rouges, Des rêves de l'indépendance au désenchantement de Catherine Simon, éditions La Découverte, Paris 2009