Ce sont des images qui reviennent de façon récurrente : celles d'illustres artistes (comédiens, chanteurs, plasticiens, etc.) lançant un cri de détresse du tréfonds de leur solitude, au crépuscule de leur vie. On se souvient des Sirat Boumediène, Kaci Tizi Ouzou, Yahia Benmabrouk, ou telle autre star sur le déclin oubliée dans un trou d'hôpital ou végétant dans un taudis, dans le dénuement le plus total, après avoir connu de fastes moments de gloire. Par-delà l'émotion scandalisée, abstraction faite de l'option délibérée de nombre de ces… « rêveurs impénitents » pour une vie de bohème (comme le veut un certain cliché têtu), le grief permanent fait aux pouvoirs publics chaque fois qu'il est question de la situation des artistes sous nos cieux, c'est l'absence d'un texte juridique à même de leur assurer un smig de confort matériel et de couverture sociale. Et pour ceux qui ne sont plus en âge de produire et de monnayer leur talent et leur imagination, il est question de leur garantir une retraite honorable (si tant est qu'un artiste fût retraitable). Le dossier a été remis hier sur le tapis à la faveur d'une conférence de presse organisée à la Maison du peuple par la Fédération nationale des arts lyriques (FNAL), relevant elle-même du Syndicat national des artistes algériens, affilié à l'UGTA. « Cela fait trois ans que nous avons soumis une proposition de statut de l'artiste au ministère de la Culture et nous n'avons toujours pas reçu de réponse », déclare d'entrée Lakhdar Ould Setti, secrétaire général du Syndicat national des artistes qui nous apprend, au passage, qu'un collectif de 17 avocats a été sollicité pour se pencher sur ce texte. M. Ould Setti évoquera un sondage effectué auprès de 6000 artistes à travers le territoire national. « 98% d'entre eux ont revendiqué la promulgation d'un statut pour l'artiste », a-t-il dit. La Fédération nationale des arts lyriques est forte de plus de 18 000 adhérents, indiquera pour sa part Mourad El Baez, lui-même auteur, compositeur, interprète versé dans la musique andalouse. Et d'insister sur la ferme intention de la fédération de saisir prochainement les deux chambres du Parlement pour les interpeller officiellement sur le statut de l'artiste, le canal du ministère de tutelle étant jugé infructueux. « Les artistes algériens sont parfaitement en droit d'aspirer à un peu de dignité. Ils ont besoin d'une couverture sociale, ils ont droit au logement, à la retraite, à des stages de formation », plaide Lakhdar Ould Setti. Mourad El Baez abonde dans le même sens avant d'annoncer la création imminente d'une société privée vouée à la préservation des droits des artistes, et qui fera concurrence à l'Office national du droit d'auteur et des droits voisins (ONDA). Cet organisme avait, jusqu'à présent, l'exclusivité, signale-t-on, en matière de protection des droits des artistes, notamment les droits relatifs à l'exploitation et à la diffusion des œuvres musicales sur les supports audio et audiovisuels. « Cette nouvelle société va s'appeler la Sacemi : la Société des auteurs, compositeurs, éditeurs, musiciens et interprètes. Elle s'inspire dans une large mesure de la Sacem en France. Elle comprendra essentiellement des artistes et des éditeurs. Une commission mixte est à pied d'œuvre pour plancher sur la création de cette société qui sera probablement une sarl. Elle devrait être mise sur pied d'ici trois mois. Les artistes seront libres, par la suite, de choisir entre l'ONDA ou la Sacemi », explique Mourad El Baez. Le président de la FNAL justifie le recours au modèle de la Sacem par le fait qu'un très grand nombre d'artistes algériens se produisent en France et y sont inscrits. « Ce qui nous a motivés réellement pour créer cette société, ce sont les réclamations des adhérents de la fédération qui se plaignent de la perte de leurs droits suite à la diffusion de leurs œuvres sur les chaînes de radio et de télévision nationales. J'ai soumis 561 réclamations à l'ONDA dans ce sens, en vain. » L'un des soucis exprimés en ce sens a trait aux « tarifs » de diffusion des productions musicales par l'ENTV. « Avant, il n'y avait que la chaîne terrestre. Aujourd'hui, il y a les chaînes satellitaires que sont Canal Algérie et A3. Il faut donc reconsidérer nos droits à la lumière de ces nouveaux canaux de diffusion », argue Mourad El Baez. Concernant la couverture sociale des artistes et leur prise en charge dans les moments de doute et d'absence de production, un fonds de solidarité est créé. A noter que sur l'ensemble de ces questions, le Syndicat national des artistes algériens a entamé des consultations avec des syndicats similaires, issus notamment du monde arabe. « Nous sommes en relation avec les syndicats égyptien, syrien, libanais, jordanien, ainsi que des organisations européennes », souligne Lakhdar Ould Setti. Pour revenir à l'avant-projet du statut de l'artiste qui sera déposé sur le bureau de l'APN, il convient de souligner la présence à cette conférence, hier, de la députée Salima Othmani qui a répondu à l'invitation de la FNAL. La députée FLN a tenu à exprimer sa disponibilité à plaider la cause de nos artistes auprès des parlementaires en vue de faire entériner le plus vite possible ledit statut par l'Assemblée nationale.