Selon ces points de vue, la Banque d'Algérie ferait «une erreur de diagnostic» concernant les causes de l'inflation, en recrudescence au cours des huit premiers mois de l'année 2012, et utiliserait donc des instruments inappropriés de politique monétaire pour lutter contre cette dernière. Mieux encore, en se focalisant sur les retraits de liquidité et le «maintien (!) à un niveau très bas des taux d'intérêt des dépôts des ménages dans les banques commerciales»(1), elle prive les banques commerciales de ressources en réduisant leur capacité d'octroi de crédits et donc de financement de l'investissement privé et se prive de la sorte du moyen adéquat de stimuler l'épargne des ménages pour réduire leur consommation et lutter efficacement contre l'inflation. Voilà pourquoi la croissance économique est si faible en Algérie et que l'inflation demeurera élevée. Devant ces approximations analytiques et contrevérités factuelles, il est utile, dans un premier temps, de revenir succinctement, pour les lecteurs, sur la conduite de la politique monétaire par les banques centrales lorsque les systèmes bancaires sont en situation de surliquidité structurelle, comme c'est le cas en Algérie. L'accroissement de la masse monétaire (ensemble des moyens de paiement détenus par les agents non financiers, M2) résulte de la monétisation des flux annuels nets d'avoirs extérieurs (solde global de la balance des paiements) et des crédits intérieurs. En Algérie, avec l'augmentation, en valeur, des exportations des hydrocarbures et corrélativement des excédents de balance des paiements, les avoirs extérieurs nets sont devenus la principale contrepartie de la masse monétaire M2. Leur encours est même supérieur à celui de M2 depuis 2005. La monétisation de ces flux accroît de facto la liquidité bancaire et donc les ressources des banques en dépôts à la Banque centrale. Dans ces conditions, la politique monétaire, dont l'objectif (explicite en Algérie depuis août 2010) est la stabilité des prix consiste à éponger la surliquidité bancaire. Les instruments classiques tels que les taux d'intérêt (taux directeurs et taux de réescompte qui sont des coûts de refinancement pour les banques commerciales) ne sont plus opérants pour assurer le contrôle de l'évolution de la masse monétaire dont l'augmentation au-delà de ce qui est nécessaire pour les besoins des agents économiques est source d'inflation. Dès lors, les banques centrales, en situation de surliquidité des systèmes bancaires, adoptent d'autres instruments plus appropriés (ponction de liquidité) pour la conduite de leur politique monétaire. En Algérie, ces instruments, issus des pratiques des banques centrales, universellement admis et utilisés, se déclinent en reprises de liquidité (rémunérées) à une semaine et à trois mois et en facilités de dépôts (rémunérées). Ils ont été mis en œuvre par la Banque d'Algérie dès le début de 2002 pour le premier instrument et en 2005 pour le second. Cependant, et contrairement aux affirmations de ces commentateurs, cette conduite de la politique monétaire par la Banque d'Algérie ne prive en rien les banques commerciales de ressources et ne réduit en aucun cas leur capacité d'octroi de crédits et donc de financement de l'investissement. Les reprises de liquidité sont effectuées par des appels d'offres de la Banque d'Algérie, et les banques commerciales sont totalement libres de soumissionner (ou non). Quant aux facilités de dépôts, dont l'encours a souvent dépassé celui des reprises de liquidité, cet instrument est à l'initiative des banques commerciales, lesquelles arbitrent, en fonction de leurs propres appréciations, des opportunités d'emplois de leurs ressources, entre les dépôts très faiblement rémunérés à la Banque d'Algérie ou l'octroi de crédits aux agents non financiers à rémunération beaucoup plus élevée. De surcroît, les banques commerciales de la place, en besoin de ressources comme c'est parfois le cas de certaines banques, pour financer les entreprises, ont toujours la possibilité d'emprunter sur le marché interbancaire ou de se refinancer auprès de la Banque centrale. Il est donc totalement faux d'affirmer que la politique consistant à éponger la surliquidité bancaire «contribue à réduire les crédits». Quant à la proposition «d'augmenter les taux d'intérêt des dépôts des ménages (auprès des banques) pour faire baisser l'inflation», elle témoigne de la totale méconnaissance des faits et des prérogatives des banques centrales, dont la Banque d'Algérie, et révèle l'inconsistance de l'analyse de nos commentateurs. Outre que, dans les économies de marché, les taux d'intérêt sur les dépôts et sur les crédits sont fixés librement par les banques commerciales, qu'elles soient publiques ou privées (en Algérie depuis le début des années 1990), les canaux pertinents (instruments indirects de marché) de transmission de la politique monétaire, retenus et privilégiés par la littérature économique et monétaire et les pratiques des banques centrales, notamment celles des grands espaces économiques comme la FED et la BCE, sont les différents taux de refinancement (taux directeurs et de réescompte) et ces derniers sont inopérants en situation de surliquidité des systèmes bancaires. Le FMI évalue chaque année les politiques monétaires de toutes les banques centrales des pays membres (au titre de l'article IV de ses statuts) et celle de la Banque d'Algérie est jugée parfaitement adaptée à la situation de surliquidité du système bancaire algérien… Revenons maintenant aux causes de la recrudescence de l'inflation en Algérie en 2012. En mettant en avant publiquement les dysfonctionnements de marché comme cause prédominante et non exclusive de la hausse moyenne des prix, la Banque d'Algérie avance des arguments fondés sur des analyses et non de simples opinions ou convictions. En moyenne annuelle, l'inflation, mesurée par la croissance de l'indice des prix à la consommation, a atteint 7,65% en août 2012. Par type de produits, elle est générée principalement par les sous-groupes «produits alimentaires» et le sous groupe «divers» dont les contributions respectives à l'inflation globale sont de 55,7% et 19,8%(2). Au sein du groupe «alimentation», ce sont les sous-groupes «viande ovine», «fruits», «légumes» et «pomme de terre» qui ont le plus contribué à l'inflation. Par catégorie de produits, ce sont les produits agricoles frais et les biens manufacturés (hors alimentation) qui ont le plus contribué à l'inflation à août 2012 respectivement de 38,5% et 34%(3). En revanche, les produits alimentaires industriels et les services n'y ont contribué qu'à hauteur de 17,1 % et 10,4 %. Dans l'analyse du processus inflationniste en Algérie, fondée pour certaines variables sur une approche économétrique(4), les facteurs déterminants à privilégier pour expliquer la hausse des prix à la consommation sont : les prix internationaux et le taux de change, l'expansion monétaire, les impôts et taxes et les imperfections de marché. Concernant les prix internationaux, l'indice des prix des produits alimentaires calculé par l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a baissé de 9,6% au cours des sept premiers mois de 2012 par rapport à la même période de 2011 et les cours mondiaux des principaux produits agricoles importés par l'Algérie ont tous baissé, en moyenne, sur la même période. Le taux de change effectif nominal du dinar (TCEN) s'est apprécié au cours du premier semestre de 2012, en moyenne, de 2,27% par rapport à la même période de 2011. Les impôts et taxes ne peuvent non plus être invoqués pour expliquer l'inflation des sept premiers mois de 2012, puisque les taux d'imposition et les tarifs douaniers n'ont connu aucune hausse durant cette période. Reste l'expansion monétaire et les fortes augmentations de salaires consenties aux fonctionnaires. En Algérie, c'est essentiellement la partie non stérilisée des flux d'avoirs extérieurs monétisés qui accroît la masse monétaire via notamment l'augmentation des dépenses publiques dont les dépenses de personnel (salaires et rappels) et les transferts qui ont fortement augmenté en 2011 et au premier semestre 2012. Les augmentations de revenus dans la fonction publique sans lien avec les prélèvements sur les revenus et l'activité hors hydrocarbures ont inéluctablement un impact sur le processus inflationniste. Prétendre le contraire est un non-sens économique. Néanmoins, ces augmentations de dépenses de personnel (salaires et rappels) et des transferts au cours de l'année 2011 et au premier semestre 2012 ne sauraient, à eux seuls, expliquer la flambée des prix à la consommation de ce début de 2012. En effet, le choc de demande, lié à la forte hausse des revenus, a porté principalement sur quelques produits agricoles frais et les biens manufacturés (biens supérieurs). Si l'inflation des prix de la viande ovine et des fruits est partiellement liée à la hausse des revenus, il ne peut en être de même pour les légumes et les produits manufacturés. Dans un pays à revenu intermédiaire, la propension à consommer des légumes n'est pas élevée (l'élasticité de la consommation de carottes ou de navets par rapport au revenu est beaucoup plus faible que pour les autres biens) et les biens manufacturés sont en large partie importés. Or, l'inflation dans les pays partenaires, largement inférieure à l'inflation nationale, ne saurait expliquer la dérive des prix intérieurs de cette catégorie de biens importés. De plus, une partie importante de l'augmentation des revenus a été épargnée d'autant que les rappels de salaires des catégories à revenus élevés ont été les plus importants. L'augmentation avérée des dépôts des ménages dans les CCP et banques en 2011 et 2012 traduit dans une certaine mesure un comportement d'arbitrage en faveur de l'épargne dans l'utilisation de ces suppléments de revenus de la part des ménages qui aspirent à l'acquisition de logements et d'autres biens durables. Les augmentations de revenus ont indéniablement eu un impact sur la hausse de la demande de certains types de biens et donc de leurs prix, mais les développements précédents permettent de penser raisonnablement que les dysfonctionnements de marché sont des facteurs décisifs d'amplification de l'accélération du rythme de l'inflation. Les hausses subites et brutales des prix des produits alimentaires tels que le sucre et l'huile au début de 2011 en contraste flagrant avec les augmentations modérées des prix de ces produits sur les marchés internationaux témoignent de la pertinence de l'analyse conjoncturelle de l'inflation mise en avant par la Banque d'Algérie. Considérons à présent les points de vue de nos commentateurs sur le financement de l'économie et le comportement des banques en la matière. Selon ces commentateurs, la Banque d'Algérie et les banques publiques se ligueraient (!) pour «contribuer au rationnement du crédit et donc à la faiblesse de la croissance». Par ses ponctions de liquidité, la Banque d'Algérie priverait «chaque année l'économie du pays de 810 milliards de dinars de crédits» et les banques publiques par leur excessive prudence la priveraient de 3700 milliards de dinars. Nous ne reviendrons pas sur le caractère inconsistant, voire tendancieux de l'affirmation relative à la politique monétaire de la Banque d'Algérie (voir supra) et examinons de près celle concernant les banques publiques. L'affirmation de l'auteur est fondée sur le ratio de solvabilité de 24% des banques (fonds propres/crédits pondérés par les risques). «Si ce ratio était équivalent à celui des banques tunisiennes et marocaines (12%), elles pourraient donc prêter deux fois plus». Mais ce ratio est un indicateur de solidité financière des banques (leur capacité à faire face à leurs engagements) et non d'évaluation de leur capacité à octroyer des crédits. S'il est élevé en Algérie et il l'est autant pour les banques publiques (22,8%) que pour les banques privées (31,1%) , ce n'est pas en raison de la seule faiblesse des crédits à l'économie, mais découle du niveau élevé des fonds propres des banques algériennes publiques et privées ; le capital des banques ayant fortement augmenté en 2009 suite aux nouvelles dispositions réglementaires en la matière prises par l'autorité monétaire visant à consolider davantage la solidité du système bancaire algérien. En ce qui concerne l'encours des crédits au secteur privé, qu'il est plus pertinent par ailleurs de rapporter au PIB hors hydrocarbures et non au PIB global (l'entreprise nationale des hydrocarbures se finançant sur ses propres ressources), même à 22% (au lieu de 15%), il demeure juste de considérer qu'il sont encore faibles compte tenu du niveau des ressources des banques. Cependant, sur le marché du crédit, il faut avoir à l'esprit que le niveau de l'offre dépend du caractère bancable ou non de la demande et de la vigueur de cette dernière. Sans dédouaner les banques publiques et privées dans leur comportement d'offre de crédits, l'examen du dernier recensement économique de l'ONS révèle que le tissu d'entreprises du secteur privé est composé à plus de 90% de très petites entreprises souvent familiales et concentrées dans le secteur des services marchands où le commerce et les transports prédominent. Les enquêtes «emploi» du même organisme révèlent aussi que près de la moitié de l'activité de ces petites entreprises relève du secteur informel à en juger par la part du salariat non affilié à la sécurité sociale, le mode de règlement de la fiscalité, le type de comptabilité utilisé. La structure, le mode de fonctionnement et la qualité des dossiers de crédits (bilans, business plan…) des entreprises du secteur privé n'autorisent donc pas à incriminer les seules banques publiques et privées quant à la faiblesse relative des crédits à l'économie, notamment au secteur privé. Penchons-nous à présent sur la prétendue opacité entourant la politique monétaire, la contrepartie des réserves de changes, les comptes de la Banque centrale…. Devons-nous rappeler à nos auteurs que la politique monétaire est exposée dans le détail dans les rapports annuels et les notes de conjonctures semestrielles de la Banque d'Algérie, pour un économiste, la simple lecture de la situation monétaire publiée dans les mêmes rapports annuels lui apprendra que les 40% correspondant à l'excès de l'encours des avoirs extérieurs nets sur la masse monétaire est stérilisée dans le fonds de régulation de l'Etat (ligne crédits à l'Etat de la Banque centrale ; en fait des créances de l'Etat sur la Banque centrale) et que le montant du FRR est indiqué dans les rapports annuels et les notes de conjoncture de la Banque d'Algérie, en ce qui concerne les comptes de la banque d'Algérie, une situation comptable mensuelle est publiée chaque mois au Journal officiel, et enfin que les prévisions de croissance et d'inflation effectuées par le FMI (article IV) ne sont que des scénarios possibles et non des prévisions fondées sur des outils appropriés (modèles macro-économétriques)… Notes de renvoi : 1) Cafés, restaurants, hôtels, tabacs, boissons alcoolisées, bijoux, produits de nettoyage et de beauté… 2) Le sous-groupe «habillement» cité par un des commentateurs comme facteur explicatif de l'inflation à août 2012 n'a contribué à l'inflation qu'à hauteur de 4,1% car son poids dans l'indice des prix n'est que de 7,5%. 3) La forte contribution des biens manufacturés à l'inflation à août 2012 résulte du poids de cette catégorie de produits dans le calcul de l'indice des prix et non de son inflation qui a été de 7,1% en moyenne annuelle (inférieure à l'inflation globale). 4) Confère le modèle de déterminants de l'inflation présenté publiquement à la presse nationale en octobre 2011 par la banque d'Algérie.