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Le bras du déshonneur à la mémoire de la France
Publié dans El Watan le 11 - 11 - 2012

Les petits ne sont jamais grandis par leurs extravagances. Ceci pour dire que le geste ne mérite que mépris par le silence. Disons toutefois et tout simplement que le bras du déshonneur va à la mémoire de la France. Nous savons faire preuve de dignité dans notre indignation. Au-delà de ce puéril épisode qui ne mérite pas d'être narré, les apôtres de la loi du 23 février ont la peau dure et les chevaux de retour sont une récurrence historique. Les criminels n'échappent jamais à leurs démons. Un sang souillé ne produit que la souillure. En matière de confrontations des mémoires et notamment le pan de la guerre d'Algérie, la droite a toujours été petite et la gauche n'a jamais été grande.
La fausse ouverture de Hollande par une reconnaissance circonscrite aux événements du 17 Octobre 1961, qui sont un détail dans les atrocités de la sale guerre, ne doit pas faire illusion. La France officielle, constante et cohérente dans sa duplicité, refuse une repentance qui malmènerait sa conscience et protège les siens des jugements et des procès qu'elle veut intenter à d'autres. Le cinquantenaire de l'Indépendance vient rappeler à nos mémoires mutilées les atroces tragédies qui parsèment notre histoire. Elle rappelle aussi brutalement une sorte d'entourloupe juridico-judiciaire avec laquelle la France a préservé sa mauvaise conscience et protégé ceux qui l'ont «bien ou mal servie», c'est selon. Rien ne doit perturber la «bonne conscience» de l'histoire coloniale. Une immunité juridique, à la fois solide et fragile, couvre les crimes de guerre commis en Algérie. Solide, parce qu'ayant acquis autorité de chose politiquement décidée. Fragile, parce qu'elle ne résiste pas à l'analyse.
L'affaire Aussaresses qui avait défrayé la chronique avait révélé ou plutôt confirmé ce que la mort «sans jugement de Massu» est venue rappeler… L'immunité et l'impunité des crimes de guerre commis en Algérie trouvent leur origine dans une loi d'amnistie qui a gracié et absout tous les crimes commis par les Français durant les événements d'Algérie. Piètre échappatoire ; imparfait alibi. Cette loi d'amnistie mérite quelques remarques : la première est qu'elle ne concerne que les faits commis en Algérie, c'est-à-dire ayant touché des Algériens. Il serait intéressant de voir si les faits de même nature ayant été commis en France ou sur des Français entrent dans son champ d'application.
La deuxième est qu'elle amnistie des crimes imprescriptibles selon le droit international français constitué par les conventions internationales. Il y a lieu de signaler que la France a joué un rôle très dynamique dans la rédaction des conventions internationales relatives aux crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Par ailleurs, ses juridictions ont eu à connaître à une date récente des procès retentissants de criminels nazis (Barbie-Touvier-Papon). La France a-t-elle le droit d'amnistier des crimes imprescriptibles ? Peut-elle absoudre ses enfants tout en militant pour la sanction des mêmes crimes quand ils sont commis par les autres ? Cependant, au-delà de son inacceptabilité sur les plans éthique et moral, cette amnistie se trouve être inopérante sur le plan strictement juridique : ce que ces «juristes» omettent de remarquer et de dire, c'est que cette loi d'amnistie se fonde sur un considérant principal donnant aux événements d'Algérie le statut d'opération de police interne.
Par cet artifice non convaincant, tous les crimes commis par les militaires français en Algérie sont exclus de la catégorie de «faits de guerre» ou «crimes de guerre» prévus et réprimés par des conventions internationales, pour être gérés par le droit interne et, ainsi, faisant partie d'une zone juridique de souveraineté de l'Etat français, qui peut pardonner tous les crimes commis par ses ressortissants dans ses territoires contre ses populations de France et de Navarre. Cependant, il y a quelques années, un élément majeur a bouleversé les données de la problématique : il s'agit de la reconnaissance aux militaires français d'Algérie de la qualité d'anciens combattants.
Les militaires français d'Algérie se voyaient injustement privés du statut lucratif et prestigieux «d'anciens combattants», car ils n'avaient pris part qu'à des opérations de police interne et non à des faits de guerre contre un ennemi extérieur. Ce groupe de pression n'a pas cessé d'exercer un véritable lobbying pour obtenir un changement du statut de ses membres, qui nécessitait une révision du statut juridique des événements eux-mêmes. Après une longue résistance, les pouvoirs français ont fini par abdiquer en reconsidérant les faits d'outre-mer et de ceux qui y ont pris part. Depuis à peu près deux années et suite à un long combat, les militaires français ont pu conquérir le titre de combattant pour la France et obtenu les droits et dédommagements conséquents.
La bataille changea d'âme et le militaire changea de statut. Alors qu'ils étaient policiers menant des opérations de rétablissement de l'ordre interne, les militaires français d'Algérie devinrent des soldats «guerriers» jouissant des honneurs de la guerre mais, aussi, soumis aux lois de celle-ci. Du coup, les faits commis par l'armée française en Algérie sortent de l'ordre interne pour être soumis à l'ordre international et, notamment, aux instruments et traités internationaux ratifiés par le France, parmi lesquels les conventions relatives à l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Le statut des faits, qui a permis et servi de base à l'amnistie, a été modifié.
Le considérant essentiel se trouvant aboli, la loi se trouve désuète. Les agissements des soldats français en Algérie sont, depuis deux ans, des faits de guerre dont les crimes contre l'humanité – notamment la torture – sont imprescriptibles. La loi d'amnistie invoquée pour mettre les tortionnaires d'Algérie à l'abri des poursuites n'est plus pertinente en la matière, elle ne régit plus son objet. Deux conséquences juridiques majeures découleront de la mutation juridique des événements et de ceux qui les ont commis. La première est l'imprescriptibilité mentionnée ci-dessus et la possibilité d'être jugé par une juridiction pénale nationale autre que celle du pays du coupable ou une juridiction pénale internationale.
Ainsi, théoriquement et conformément aux instruments internationaux relatifs à la torture, Aussaresses pouvait être jugé par une juridiction non française (algérienne ou autre), ou un tribunal pénal international. Mais là aussi, les juristes français développent des prouesses pour absoudre les leurs et les mettre à l'abri de mécanismes juridiques qu'ils (les Français) mettent en œuvre avec un enthousiasme sans pareil pour sanctionner les autres criminels de guerre.
La duplicité française a été, on ne peut mieux, exprimée lors de la ratification par la France de la Convention de Rome sur le Tribunal pénal international ; il faut signaler que la France s'est fait particulièrement remarquer comme un des pays les plus dynamiques pour la mise en place d'une pareille juridiction ; cependant, elle a tenu, par le biais du mécanisme des réserves, à conserver une échappatoire pour retirer ses ressortissants à la compétence de ces juridictions. L'ambivalence de la position française consiste à se présenter et s'empresser pour l'instauration de ces juridictions tout en tenant à la possibilité de recourir à l'article 124 de la Convention de Rome qui dispose : «(…) un Etat qui devient partie au présent statut peut déclarer que pour une période de sept ans à partir de l'entrée en vigueur du statut à son égard, il n'accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne la catégorie de crimes visés à l'article 8 (crimes de guerre) lorsqu'il est allégué qu'un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants. Il peut à tout moment retirer cette déclaration. Les dispositions du présent article seront réexaminées à la conférence de révision (convoquée sept ans après l'entrée en vigueur du statut)».
Le 22 février 2000, les députés ont adopté le projet de loi pour la ratification par la France de la Convention de Rome. Le ministre des Affaires étrangères a cependant maintenu l'intention de la France de recourir à l'article 124, exemptant de poursuites pour crimes de guerre les ressortissants des pays qui en feront la demande. «On peut d'autant mieux accepter de ratifier un texte, lorsqu'on peut clairement s'en exonérer», dira un député français qui souhaitait et réclamait une adhésion totale. Par sa position, la France adopte la moitié du droit. La précaution et les arguments français pour justifier cette précaution auraient été acceptables, s'il n'y avait le militantisme de ce pays pour la mise en place de juridictions internationales compétentes pour juger les crimes des autres.
L'épisode Aussaresses permettait ainsi de lever une erreur, maintenue et entretenue, soutenant l'amnistie de crimes d'Algérie en droit interne français et leur imprescriptibilité en droit international français. Les autorités françaises se doivent d'abroger cette loi pour anticonstitutionnalité et aussi parce que contraire aux traités internationaux ratifiés par la France. La Constitution française place les conventions internationales relatives à la protection des droits de l'homme au sommet de la pyramide des normes et tout texte d'ordre interne qui se trouve être en contradiction avec une disposition internationale sera automatiquement écarté. Devant la réticence des autorités françaises, une partie diligente pouvant se prévaloir du statut de victime au sens de la Convention européenne des droits de l'Homme, peut saisir la Cour européenne de Strasbourg qui exerce depuis 1948 sa censure des lois nationales contraires aux engagements internationaux.
Le bouleversement de l'environnement juridique autorise et impose une relecture de cette sinistre loi d'amnistie qui est devenue obsolète et en porte-à-faux avec son environnement par son inadaptation au contexte. Sans cet aggiornamento, tous les criminels de la guerre d'Algérie continueront à jouir d'une belle mort, épargnés de tout jugement. Enfin, pour l'anecdote : il y a quelques années, Kouchner pour le citer, originaire de gauche et renégat ministre des Affaires étrangères, pour faire de la surenchère à son patron de droite commit cette expression : «Je n'ai pas envie de voir sa tronche», en parlant de notre ministre des Moudjahidine. Au lieu de convoquer l'ambassadeur français pour s'excuser, le ministre des Moudjahidine algérien démissionna ou fut démissionné. Dans la continuité d'une frilosité algérienne officielle devant l'ancien colonisateur, après et en dépit de ce bras de déshonneur, une haie d'honneur sera faite par tous les officiels algériens devant le président français. Et nos martyrs continueront à se remuer dans leurs tombes.


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