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Lettre de New Delhi : Kama Sutra, Bouddha, Lord Krishna...
Publié dans El Watan le 01 - 11 - 2009

L'Inde, un pays aux mains de lettrés. A New Delhi, en tout cas, c'est comme si un parti politique œuvrait uniquement pour l'édition et la promotion de milliers de livres chaque jour. Sous les arcades de Connaught Place, à Khan Market, à Urdu Bazaar, on ne voit que des stocks de livres et des « bookshops » qui attirent les passants comme des aimants.
New Delhi (Inde) : De notre envoyé spécial
On envie l'opulence des maisons d'édition de l'Inde : Viking Press, Rupa and Co, Penguin India, Harpercollins... Pas une galerie marchande, un lobby d'hôtel, un hall de gare, un passage étroit à New Delhi sans une montagne de livres. On peut dont difficilement quitter un jour New Delhi sans supplément de bagages, un précieux emballage de beaux livres sur les plaisirs et les dieux : Kama Sutra, Mahabharata, Lord Krishna... Pendant ce temps, sous l'œil vigilant du grand cinéaste indien Mani Kaul, le 11e Festival Osians Cinefan a lancé son programme avec des films indiens, asiatiques et arabes dont Hia ou Houa (elle et lui), du Tunisien Elyes Baccar et La Longue Nuit, du Syrien Hatem Mohamed Ali, primé au Festival international du film arabe d'Oran en juillet dernier. En Inde, c'est l'automne des festivals. Après Delhi, c'est au tour de Bombay, début novembre, puis Goa et Calcutta suivront jusqu'à fin décembre. A Delhi, Osians Cinefan a franchi le pas cette année en proposant un festival totalement original.
La projection des films est non seulement accompagnée par des colloques, débats comme ailleurs, mais aussi par une véritable plongée dans le monde des arts indiens, peinture, sculpture, vieux manuscrits. Osians Cinefan se démarque ostensiblement de la démarche des festivals habituels, en ajoutant une galerie d'art pour les curieux, les amateurs et aussi les acheteurs, puisque Neville Tulli, grand collectionneur et président du festival, propose une vente aux enchères dans les salons très huppés du Taj Hotel de Delhi, qui coïncide avec la cérémonie de clôture . Dans les années 70-80, je venais souvent en Inde, tour à tour à New Delhi, Bombay Mumbai, imposé par le parti Shiv Shena, d'idéologie ultranationaliste), Madras,Calcutta, Trivandrum... Tous les ans, le Festival des films de l'Inde changeait d'Etat. L'Inde à cette époque-là était encore un pays « socialiste démocratique », Indira Gandhi, suivie de son fils Rajiv, était à la tête du pouvoir et du Parti du Congrès. L'Inde était le chef de file du mouvement des « pays non-alignés » et en même temps très proche de l'Union soviétique. Il n'y avait ni coca cola, ni McDonald, et les seules voitures qui circulaient étaient de marque Tata.
Aujourd'hui, tout a changé, un bouleversement total. L'Inde est entrée dans l'économie de marché. Le socialisme a disparu au profit de l'ultralibéralisme. Toutes les multinationales de la planète sont présentes en Inde et fabriquent (pour leur profit) les produits les plus divers : mécaniques, électroniques, pharmaceutiques, cosmétiques, alimentaires. Pleines d'efficacité (dit-on), les grandes sociétés de service internationales ont ouvert des succursales en Inde, ou parfois leurs sièges permanents de l'Himalaya aux mégapoles équatoriales de Bombay et Calcutta. L'Inde est-elle devenue un autre « dragon » de l'Asie ? C'est une idée déjà assez répandue.
Il y a un milliard deux cent millions d'Indiens aujourd'hui, malgré un planning familial soutenu (« a small family is a happy family »,slogan affiché partout). Les Indiens, heureusement, ne sont pas tous tombés dans l'anglophilie ou l'américanophilie. Beaucoup de résistance sinon dans le business, du moins dans la littérature, le cinéma,la musique, l'université (les enfants indiens ne sont pas tous éduqués à Oxford ou Princeton, même si c'est le rêve de beaucoup de parents riches ici...). Mais l'Inde a toujours ses bêtes noires. A la une de l'Hindustan Times, les nouvelles ne sont pas bonnes. Des groupuscules, venus on ne sait d'où et qui se disent maoïstes, ont attaqué des postes de police à Orissa. Barack Obama a signé un chèque de plusieurs milliards de dollars d'aide à la pire bête noire de l'Inde : le Pakistan où le terrorisme taliban fait rage en ce moment.
La Chine aussi se mêle des affaires de l'Inde (selon l'Hindustan) en construisant des barrages dans la zone du Cachemire, litige historique et sanglant entre New Delhi et Islamabad. C'est le moment d'arriver en Inde. La mousson est passée. Il ne fait que 30 degrés dans la journée à New Delhi. La capitale de l'Inde est très agréable à vivre. Même si le capharnaüm automobile (de toutes les marques) continue à bloquer les rues. « Horn Please ! » (Klaxonnez !), c'est écrit à l'arrière des camions et des bus qui se faufilent péniblement entre la marée de taxis, scooters, rickshaws, qui lâchent des nuages de fumée... La presse rappelle chaque jour qu'il y a un pourcentage de décès de piétons assez élevé dans les rues de New Delhi... Les pèlerins venus de partout attendent devant Birla House, la maison du Mahatma Gandhi. Chacun son tour, avec le sourire du yogi qui fait son yoga au Buddha Jiyanti Park. A propos de Gandhi, les amis indiens sont toujours choqués par la pub de la firme Apple. Une photo montrait Gandhi, son pagne et sa fameuse paire de lunettes rondes, et le slogan d'Apple disait : « Think different » (pensez autrement). Cette pub, qui a failli récolter un oscar pour avoir osé, ne plaît pas en Inde. Gandhi n'a jamais posé pour Apple qui n'existait pas de son temps. D'ailleurs, il n'aimait pas la technique et utilisait un simple crayon. Mais les pages publicitaires sont toujours tissées d'énormités.


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