Souhil Idris, qui vient de nous quitter, n'était pas un simple éditeur de littérature arabe. Médecin, romancier et fondateur de la revue El Adab (les belles lettres), a créé dans les années 1950 Dar El Adab, une maison d'édition qui a fait connaître de grands écrivains arabes. Pour l'édition, Souhil Idris a laissé tomber et la médecine et l'écriture. Au moment où Adorno dénonçait la progression du règne de la marchandise et annonçait la régression de la culture et de l'art, Souhil Idris a cru en la littérature en général et en le roman en particulier. Et il a vu juste. En effet, l'industrie du livre substituée à la copie manuelle a formidablement servi la création littéraire. J'ai rencontré Souhil Idris pour la dernière fois en 2005. Nous avons longuement discuté de littérature et d'édition. Il pensait que « l'expérience du livre est positive depuis quatre cents ans. Le développement de l'édition du livre est d'une importance capitale pour l'avenir de la vie culturelle des populations. Dans le monde arabe, l'urge de lancer des études socio-économiques, historiques et politiques d'une grande rigueur. » Quant à la découverte de nouveaux écrivains, il m'a dit que « la valorisation de l'auteur doit s'étendre du best-seller au « long-seller » ; ainsi, on peut espérer qu'un système de production culturelle plus prospère, dans un marché plus actif, permettra aux éditeurs de donner leur chance à un plus grand nombre d'écrivains de prendre davantage de risques et d'éditer des œuvres jugées difficiles à vendre ». De la sorte, il pourrait toujours subsister un domaine de fécondité renouvelée d'avant-garde et d'exploration où la création littéraire resterait un acte solitaire, avec son « noyau infracassable de nuit. » Souhil Idris a toujours dénoncé la division du monde arabe et la censure pratiquée par les différents régimes politiques. En ce qui concerne la diffusion du livre, il a toujours rêvé d'un système à l'anglaise où le livre sortirait le même jour à Londres, New York, Sidney et même New Delhi (parfois). Il m'a dit en 1984 : « Très faibles sont encore les efforts qui permettraient la réalisation de co-éditions dans le monde arabe et rares les accords inter-pays arabes de diffusion du livre. Mieux vaudrait pour le livre que ce soit ce qu'il y a de meilleur dans chaque pays qui soit diffusé sur les divers marchés nationaux, plutôt que des productions livresques nationales sans génie ou des importations dont le bas prix et le seul mérite. »