Pourquoi les modernistes arabes sont-ils en panne d'idées ? Les modernistes parlent de la crise de la modernité dans le monde arabe. Ils reprochent toujours aux autres d'en être la cause. La crise de la modernité se situe dans la pensée et la vision des modernistes eux-mêmes. La société arabe se modernise par elle-même dans tous les secteurs : entreprises, banques, bâtiments, télévision, presse... sans théorie. Ceux qui ont perdu le pari sont les gens de la modernisation. Ils ont échoué parce qu'ils se sont comportés avec la modernité comme s'il s'agissait d'une religion. Ils l'ont sacralisée comme les traditionalistes l'ont fait pour le Texte. C'est la principale faillite. Ils ont transformé les concepts de démocratie, de rationalité et de liberté en une religion moderne et nouvelle. Les modernistes autant que les traditionalistes ont échoué. Les deux puisent leurs ressources dans une pensée unique, sélective, fermée, absolue et agressive. Le bilan est là : les modernistes sont à la marge. Mais est-ce à dire que le fondamentalisme a réussi ? Non. Le fondamentalisme est venu pour se venger des acquis de la modernité. Il a failli abattre ces quelques acquis modernes des sociétés arabes. Pour moi, en tant que philosophe, la panne est dans les concepts, dans les idées, dans les théories. Il est important de revoir la manière de traiter avec la modernité. Cela doit se faire avec un esprit ouvert, un esprit synthétique, avec une logique créative. La devise idéologique utilisée autant par les modernistes que par les fondamentalistes a fait d'eux des dinosaures conceptuels et des dragons terroristes. Les deux groupes donnent priorité au Texte, à la fetwa, à la chariaâ, au zaïm, au guide au détriment de l'Etat, des lois, de l'intérêt public et de la vie commune. Pour moi, c'est le mal supérieur. Mal qui détruit les sociétés arabes. Le zaïm passe avant l'intérêt public. L'imam passe avant l'intérêt national. Le hidjab passe avant l'Etat et la République... Quelle est l'importance de l'œil critique dans la société ? L'intérêt public doit être prioritaire. Même s'il se sent sacré, un homme ne peut pas passer avant cela. Nous sommes inférieurs à notre relation avec la vertu, la vérité, la liberté et la justice. Tant qu'il n'existe pas d'institutions qui contrôlent et surveillent ce que font les puissants, l'homme aura tendance à sortir des sentiers. En Occident, l'œil critique résiste. Regardez ce qui s'est passé en France avec l'affaire du fils du président Sarkozy. S'il n'y avait pas cette résistance, il aurait placé son fils là où il voulait. Dans le soufisme, il y a plaidoyer pour le contrôle et la remise en cause. La critique du soufisme dans la pensée islamique est plus moderne mais plus dramatique aussi. Ibn Arabi dit que « l'illusion est maître de l'esprit ». Cela veut dire que l'esprit n'est pas à la base mais l'illusion. Comment peut-on expliquer l'actuelle crise économique mondiale ? Et comment une crise éclate alors qu'il y a des millions de cerveaux qui réfléchissent et qui planifient et des ordinateurs qui travaillent sur tout ? Le moderniste qui démarre d'une logique religieuse ne peut pas développer la critique. Dans la réflexion de Nietsche, il y a le slogan de l'être supérieur. J'ai critiqué cette théorie parce que ce slogan a détruit Niestche et l'a mené droit vers la folie. L'homme n'est pas supérieur, surtout les intellectuels. Un conducteur qui respecte le code de la route a plus de considération qu'un charlatan à la télévision... Et quelle appréciation faites-vous de ce Salon du livre ? C'est la deuxième fois que je viens en Algérie. Ce Salon est un espace d'échanges et un lieu de rencontres entre tous ceux qui participent à la confection des livres, auteurs, éditeurs et lecteurs. Le ministère de la Culture a toujours un rôle à jouer. Dans le monde arabe, les Salons du livre ont pris une dimension internationale. Les statistiques de cette organisations relèvent que le niveau de lecture est faible dans les pays arabes. Je commence à douter de ces chiffres. L'affluence du public arabe dans les Salons et foires du livre est toujours aussi grande. Il y a des lecteurs et et il y a des producteurs dans les domaines de la littérature et de la poésie. Des auteurs arabes ont dépassé les frontières de leur région et sont connus à travers le monde. Je ne dis pas que nous avons atteint le niveau de certains pays comme le Japon ou la France, mais, il faut revoir les statistiques.