Celui qui a ébranlé l'école Benouhiba continue de faire l'objet d'âpres discussions. Elles portent sur les deux coups de feu tirés avec son fusil de chasse par le chef de cet établissement blessant grièvement deux jeunes de 15 et 16 ans. Ces derniers se seraient introduits dans l'établissement pour voler des tubes en cuivre. L'autre fait intervenu dernièrement concerne le décès d'une collégienne de 16 ans du CEM Bouzered Hocine. Elle aurait ingurgité de l'acide suite à des pressions familiales liées à ses résultats scolaires. Au lycée Bouazdia d'El Hadjar, un élève réinscrit par 4 fois en milieu scolaire malgré ses échecs au bac, a rossé de coups de tête et de pied son bienfaiteur qui est le directeur de l'établissement. Ce dernier avait tenté de sensibiliser son jeune agresseur sur la nécessité de laisser ses camarades étudier en paix. Un autre était apparemment le souffre-douleur d'un de ses professeurs. Celui-ci ne ratait pas une occasion pour le traiter en présence de ses camarades « d'ânon ». Comme réponse, l'élève n'a pas trouvé mieux que d'asséner un coup de tête à l'auteur de ses tortures pour l'envoyer au tapis. Il y a également ce livre d'éducation islamique de la 2e année secondaire. Dans l'une de ses pages, ce manuel scolaire, censé avoir été édité après sa lecture par un comité, initie les élèves à la violence en milieu familial. Comme exemple, il cite la méthode permettant au mari de soumettre, à coups de gnons ou de gourdin, son épouse. Selon de nombreux parents d'élèves du lycée St-Augustin, cette méthode ne pouvait pas mieux tomber qu'entre les mains d'un enseignant pour imposer à ses ouailles l'interdiction de toute mixité. Les mêmes sources ont précisé que ce même enseignant privilégierait dans ses notations les élèves filles en hidjab par rapport aux autres. Pour d'autres enseignants, les cours de rattrapage payants ont dépassé le stade des fins de mois arrondis. Ces cours se sont transformés en obligation pour les élèves dont les parents sont plus ou moins financièrement aisés. Arnaque imposée Un refus entraînerait pour le réfractaire des mauvaises notes à longueur d'année même s'il est le meilleur de la classe. Les élèves, dont c'est la première année scolaire, ne sont pas exclus de cette mainmise de certains enseignants que seul l'argent intéresse. Chaque matière a son prix pour deux heures par semaine. Pour les élèves du primaire, 600 DA/mois, le moyen 1000 DA/mois, le secondaire 1500 DA/mois, la préparation au bac 1500/DA le mois par matière ou entre 3500 à 4000 DA les dix dernières séances des cours au lycée. Un enseignant a été plus malin que les autres. Il a simplement loué l'amphithéâtre de la maison de la culture Hassan El Hassani pour y regrouper quelque 200 élèves pour des cours de rattrapage particuliers. Faites le compte. « Mon enfant n'a jamais été concerné par l'istidrak (rattrapage imposé prévu dans le cursus pédagogique du ministère de l'Education ndlr). Ce qui veut dire qu'il arrive à suivre puisqu'on lui permet de sortir. Après m'avoir affirmé qu'il est faible, son enseignante m'a imposé de lui faire suivre des cours particuliers de rattrapage qu'elle prodigue dans l'enceinte même de l'école après les horaires légaux de travail. Lorsque j'ai dit pourquoi dans ce cas ne pas le retenir en istidrak, elle s'est tue. Ce n'est rien d'autre qu'une escroquerie. Mon fils, dont je suis quotidiennement la scolarité, est depuis toujours mal noté, rabroué et psychiquement amoindri devant ses camarades par cette enseignante. Je me suis adressée au directeur de l'établissement. Il est apparemment impuissant », a indiqué Mme Nouara M., parente d'élève à l'école primaire Abane Ramdane. C'est dire que la série des faits et méfaits dans le milieu de l'éducation à Annaba est longue. Le bac des bras longs Elle s'est davantage allongée avec cette rumeur d'attestations de réussite au bac de ces deux dernières années décernées à des élèves non méritants. « Des noms de progéniture de nababs ayant réussi au bac sans coup férir, je peux vous en citer. Profitant de la position de son géniteur, un d'entre eux s'est retrouvé à la faculté de droit. Quatre années après, en séchant pratiquement tous les cours et après une mascarade de soutenance, il s'est retrouvé avec une licence », a déclaré Abdelatif G., parent d'une lycéenne en classe de terminale pour la 2e année après son échec au bac. Sa déclaration est quelque peu consolidée par une enseignant du secondaire qui sous le couvert de l'anonymat a affirmé : « Votre journal, comme beaucoup d'autres titres de la presse locale et nationale, s'est fait l'écho du scandale des épreuves du bac de la dernière session. Deux enseignantes du lycée Saint-Augustin s'étaient disputées à qui ferait passer sa progéniture en tête pour bénéficier de la bourse accordée par le président de la République aux meilleurs lauréats du bac. A moins que ces dames aient une boule de cristal très efficace, je ne vois pas comment elles savaient 48 heures à peine après les épreuves que leurs enfants avaient réussi. Où sont les résultats de l'enquête que devait lancer à l'époque le directeur de l'éducation ? Il ne faut pas mettre tous les enseignants dans le même sac. Comme dans tous les métiers, il y a toujours cette minorité qui salit la corporation à travers des actes à la limite de la légalité. » Dans le milieu des associations des parents d'élèves, la révolte est latente. Elle est difficilement contenue face à une situation que caractérise la débandade à tous les niveaux de la direction de l'éducation de Annaba. Seules la désorganisation et l'absence de contact et de communication entre les unes et les autres associations n'ont pas permis aux parents d'élèves de faire entendre leur voix. Du côté des parents d'élèves, la situation s'assimile à la « débandade ». Bachir Chebli est un ancien président d'association des parents d'élèves qui exprime son indignation et sa grande colère face à cette situation : « C'est la clochardisation du système éducatif. Comment se taire devant cette situation ? Des enseignants imposent des cours de soutien dans toutes les matières à nos enfants. Il faut casquer, casquer et casquer toujours. Je me pose la question si les établissements publics de l'éducation servent à quelque chose. Le comble est atteint lorsque l'escroquerie généralisée est orchestrée par certains inspecteurs et chefs d'établissement qui squattent des salles de classe, des logements et des locaux à l'intérieur même des établissements scolaires. Tous occupent pourtant des logements OPGI, d'astreinte ou de fonction. » Comme tous ces faits et méfaits ne suffisaient pas, voilà qu'au lendemain de la décision de la direction de l'éducation de démettre de ses fonctions le chef de service des finances et équipements, plusieurs cachets humides et timbres se volatilisent. Et quand on sait que le sanctionné gérait les dossiers d'octroi des aides de 2000 DA aux enfants issus des couches défavorisées, il y a de quoi se poser des questions. Cette affaire a éclaté à l'issue d'une enquête diligentée à la demande du ministère de la Solidarité. Elle fait état de nombreuses plaintes de parents d'élèves n'ayant pas perçu cette aide. Au niveau de la direction de l'éducation, tout en éludant les questions sur ces faits, M. Allem, le directeur de l'éducation, a tenu à préciser : « Le chef de service financier a été affecté à une autre mission. Il s'agit d'un acte de gestion tout ce qu'il y a de normal dans le cadre de la réorganisation de notre structure. Je précise que nous n'intervenons pas directement dans l'octroi de l'aide des 2000 DA. Nous n'avons fait qu'exécuter une liste de plus de 16 000 bénéficiaires préalablement établie et transmise à nos services par les chefs de daïra. Ce problème s'est posé dans la daïra d'El Hadjar uniquement. » Educateurs squatteurs Un autre dossier, et non des moindres, porte sur les occupations d'autorité des locaux (salles de classe, caves, greniers, soupentes, cours d'école, logements, studios) par des enseignants ou chefs d'établissement. C'est le cas de l'école Benhamzaoui de la vieille ville. Le logement de fonction situé à l'intérieur de l'établissement étant déjà occupé par son fils, le directeur de cette école n'a pas hésité à accaparer, avec le reste de sa famille, la 2e cour de récréation et deux classes du même établissement. Des indiscrétions font ressortir que ce directeur est locataire d'un logement social à Sidi Salem. Un inspecteur bénéficiaire d'un F3 à la cité Rym a occupé, quant à lui, le studio du jardin d'enfants de la rue Bouscarin et utilise à des fins personnelles des salles de classe de l'école Front de Mer. Et si à l'école du 19 Juin, c'est une soupente aménagée qui a intéressé le directeur, son homologue, l'ex-directrice de l'école du 8 Mai a préféré les relents de la cantine de son établissement qu'elle a transformée en un petit chez-soi. « Je suis partie à la retraite dès la fin de l'année scolaire 2003/2004. A l'école du 19 Juin que je dirigeais, j'ai aménagé avec mes propres moyens une soupente pour m'y reposer entre deux séances et veiller tard le soir pour préparer les activités du lendemain. Il est vrai que lorsque je suis partie j'ai laissé la porte fermée à clef. Mais avant de l'ouvrir par effraction, on ne m'a pas convoquée à l'effet de prendre mes affaires personnelles avant de fracturer la porte d'entrée. Devant mes anciens élèves et collaborateurs, j'ai été mise à la porte par mon successeur comme une vulgaire malpropre. Je n'ai jamais pensé à m'approprier cette soupente située dans l'école. Il y a un minimum de respect à accorder à une enseignante avec plus de 32 années de service », s'est révoltée cette ancienne directrice. En matière d'attribution de logements d'astreinte, le directeur de l'éducation a tenu à souligner : « Il appartient aux responsables de la commune de Annaba de décider de l'octroi des logements de fonction. » Il est quelque peu contredit par le secrétaire général de la commune de Annaba qui a précisé : « Nous affectons les logements destinés aux établissements scolaires du primaire à la direction de l'éducation. Notre responsabilité se limite à ce niveau, à l'entretien et à la maintenance de ces établissements. Il ne nous appartient pas de désigner qui doit occuper le logement de fonction. » Faux et usage de faux L'utilisation de faux extraits de naissance par certains enseignants dans le but de retarder leur mise à la retraite est un secret de Polichinelle dans la wilaya de Annaba. Sans la démentir totalement, M. Allem n'en a pas moins tenu à préciser : « Effectivement, nous avons enregistré une tentative du genre la précédente année. Il s'agit d'un enseignant, né en Tunisie, qui a déposé un jugement des actes de naissance. Après enquête, il s'est avéré que l'intéressé avait atteint l'âge de mise à la retraite. De toutes les façons, nul ne peut induire en erreur notre administration qui dispose des dossiers de recrutement qui, bien que jaunis, sont toujours consultés dans le cadre du suivi de carrière. Quant aux dossiers des occupations des salles de classe, de logements de fonction et autres locaux, nous allons enquêter et déterminer les responsabilités. » Dans ce sombre tableau de l'éducation à Annaba, un petit rayon de soleil. Il consiste en la prise en charge par l'Etat du dossier déperdition scolaire. C'est dans ce cadre qu'une commission mixte enseignement/formation professionnelle est à pied d'œuvre. L'objectif qui lui est assigné est l'admission au palier secondaire de 70% des élèves du moyen. Le reste sera orienté vers la formation professionnelle. En ce qui concerne les élèves du secondaire ayant subi un échec, ils sont concernés par l'enseignement professionnel pour décrocher le diplôme de technicien et technicien supérieur. Selon le directeur de l'éducation, à partir de cette année scolaire, aucun élève âgé de moins de 16 ans ne sera exclu du système scolaire.