50 000 enfants maltraités, 10 000 violés, 350 000 travaillant au noir, 20 000 livrés à eux-mêmes, et 15 000 présentés devant les tribunaux pour divers délits. Ces chiffres effrayants représentent 25% des enfants algériens. De plus, selon l'Observatoire des droits de l'enfant (ODE), entre 3000 et 5000 enfants naissent sous x par an. Dans un entretien accordé à un quotidien national, Mme Kheira Messaoudène, chargée du bureau national de la protection de l'enfance et de la délinquance juvénile à la direction de la Police judiciaire, a déclaré que les services de la police nationale ont recensé 5495 enfants victimes de violence au niveau national pour l'année 2012. La violence physique vient en première position avec 3222 enfants, dont 2469 garçons et 753 filles. Viennent ensuite les violences sexuelles avec 1608 victimes, dont 924 filles et 684 garçons. A ces cas s'ajoutent les mauvais traitements, avec 433 cas, et enfin les enlèvements avec 186 kidnappings et détournements de mineurs. Toutes ces violences ont causé la mort de 28 enfants, cela d'une part, de l'autre 18 enfants ont été victimes d'homicide volontaire dont des infanticides (des parents qui tuent leurs enfants parce qu'ils ne trouvent pas de quoi les nourrir). Elle déclare également : «On a enregistré un cas pareil d'une maman qui a tué ses deux enfants et s'est rendue ensuite aux services de police.» En 2010, près de 10 000 enfants ont été victimes d'agressions sexuelles, dont 80% sont enregistrés dans le milieu familial, 15% des enfants quittent l'école avant la fin du cycle primaire. L'Unicef estime que 27,2% des enfants algériens de moins de 15 ans sont analphabètes. Cependant, en 2011, la Gendarmerie nationale a enregistré une augmentation du phénomène de la violence juvénile, soit 3281 mineurs arrêtés, dont 141 de sexe féminin, qui ont commis différents actes de violence et/ou crimes. Ces chiffres reflètent l'extrême violence que les enfants subissent au quotidien dans notre société. Ainsi, chaque année, en Algérie, les autorités et la société civile assistent, sans bouger le petit doigt, aux crimes commis à l'égard des enfants (de même pour les femmes, les personnes âgées, etc.) des milliers de victimes de viols et d'agressions sexuelles, des dizaines de milliers sont victimes de mauvais traitements, qu'il s'agisse de maltraitances physiques, psychologiques, de manipulations affectives, de confrontations destructrices à des violences familiales, de défaut de soins, lesquels doivent être décidément considérés comme maltraitances avérées, car un enfant ne peut se construire que si ses besoins affectifs, psychologiques, éducatifs sont convenablement couverts. Si on veut bien prendre en compte ce que nous apporte l'approche clinique de toutes les formes de violences, à savoir que tous les adultes violents ont été des enfants violentés, de même les adultes maltraitants ont été des enfants maltraités, que les grands criminels d'Etat (Hitler, Staline, Franco, etc.) ont été des enfants maltraités, il paraît légitime, écrit Pierre Lassus, de se poser la question de savoir si les maltraitances de l'«histoire» ne trouvent pas leur origine principale dans les histoires de maltraitances infligées aux enfants. C'est un sujet qui nécessite un plan national d'urgence et qui devrait susciter des débats nationaux et parlementaires pour prendre les mesures les plus adaptées afin de faire face à ce phénomène qui ne cesse de prendre des proportions alarmantes. Nous ne sommes pas le seul pays confronté à ce genre de problème. Néanmoins, reconnaître que ces violences existent est déjà le début de la solution. Il reste à déterminer comment présenter et résoudre ce phénomène, ceci est une autre question ! Car, à mon sens, les lois répressives n'ont jamais abouti à leur objectif escompté, au contraire elles ont fait émerger des «lois parallèles». De plus, chercher la solution dans «les liens familiaux» et «les valeurs traditionnelles» me semble un aveuglement intellectuel ou une politique de l'autruche, car la société algérienne n'est plus ce qu'elle était il y a vingt ans, et cela est de l'ordre naturel de l'évolution sociale, dans la mesure où chaque société est condamnée à évoluer. C'est au législateur de s'adapter à cette évolution et à l'élite religieuse ou autres de se libérer de ce discours du retour aux «valeurs authentiques» et «aux liens familiaux». Cette résistance à l'évolution, par le retour à la morale religieuse et les valeurs traditionnelles, n'aboutit à rien, elle freine au contraire les potentialités émergentes, qui sont les forces vives de la société. Dans son dernier ouvrage, Gérard Lopez, psychiatre et président fondateur de l'Institut de victimologie de Paris, a montré que la recherche scientifique fait directement le lien entre maltraitances et problèmes de santé, tant physiques que psychiques, entre maltraitances et exclusion sociale et même entre maltraitances et criminalité. Une revue de diverses études a identifié huit types de problèmes sur la santé mentale des enfants qui ont subi des maltraitances physiques qui sont : «Les comportements agressifs et violents ; les comportements criminels non violents ; l'abus de toxiques ; les comportements auto-agressifs et suicidaires ; les problèmes émotionnels ; les problèmes relationnels ; les difficultés scolaires ; les difficultés professionnelles». Certes, les violences que subit le peuple algérien, surtout les enfants, et qu'ils continuent à subir, sont nombreuses. Ces violences se présentent à plusieurs niveaux : la violence du système social traditionnel, la violence familiale, la violence scolaire et enfin la violence politique. Elles s'étendent sur une période historique qui date de l'époque coloniale, voire même plus, si on inclut les facteurs qui sont en lien avec les traditions et les croyances, à ce jour. Dans l'ouvrage La violence sociale en Algérie, le Pr Medhar S., enseignant de psychologie sociale à l'Université Alger 2, a abordé la violence symbolique de la société traditionnelle. Ce système social traditionnel, selon le Pr Medhar, se compose de six dimensions : une culture, une organisation sociale, un mode de gestion du facteur humain, un agencement mental, un mode d'implication sociale et une structure économique. L'imbrication de ces dimensions a lieu suivant une logique précise. Elle génère et entretient un mode de vie qu'animent des mécanismes psychosociologiques et culturels (saisie des opportunités, mensonges, contention, etc.) et que balisent des valeurs culturelles (fraternité, solidarité, entraide, etc.). Le tout se déroule sous un contrôle continu. Et ce système a tendance à se «sacraliser». C'est dans ce milieu social que l'enfant algérien interagit, et ses premières expériences (schémas cognitifs) s'en imprègnent forcément. En conséquence, les représentations de liens et les valeurs sociales (l'intelligence sociale) se construisent en distorsions qui seront transmises telles quelles aux générations futures. Ainsi, la spirale de la violence va s'étendre sur plusieurs générations. Notre objectif est d'exposer la problématique en premier lieu et de proposer, si possible, des solutions imprégnées de l'évolution des sciences humaines et de la clinique de la victimologie. Comment améliore-t-on la protection de l'enfance de toute forme de maltraitance et de violence ? -1- Création d'une institution pluridisciplinaire (juge d'enfant, avocat, éducateur, médecin légal, psychologue, assistante sociale, éducateur spécialisé, etc.) qui s'occupera de la protection de l'enfance. Cette institution facilitera et assurera la prise en charge de ces enfants. -2- Création des centres d'accueil, transitoire ou permanent, pour des enfants qui ont été victimes de la violence, mais aussi pour des enfants violents, car leur place n'est pas dans les prisons. Centres d'accueil où ils seront encadrés par une équipe pluridisciplinaire : psychologue, psychiatre, médecin, assistante sociale, éducateur spécialisé et animateur. -3- Le nombre de divorces explose dans notre société, donc réfléchir à mettre en place des lieux d'accueil familial, c'est-à-dire des assistantes maternelles, où l'enfant serait accueilli dans des familles. Car nombreux sont les enfants qui ont subi des violences dans leur milieu familial et qui se trouvent obligés de regagner leur famille, qui sont source de leur souffrance. -4- Il est important de renforcer le rôle des assistantes sociales et des éducateurs, qui jouent un rôle important dans le signalement. Leur rôle ne se réduit pas à récolter les informations et les transmettre aux instances judiciaires ; il est, en outre, dans l'accompagnement de la victime jusqu'à lui trouver un lieu où elle se sentira protégée. Renforcer la présence des assistantes sociales dans les milieux éducatifs et de proximité est primordial. -5- Création d'un institut de victimologie ou de traumatologie pour former des psychologues et des médecins pour améliorer l'évaluation psycho-légale et médico-légale et la prise en charge thérapeutique. De plus, mener des recherches sur les causes de la violence dans notre société. Ces propositions sont des pistes pour prendre en charge nos enfants qui subissent les violences au quotidien. Comme j'ai eu l'occasion de l'écrire, les lois répressives ne sont pas forcément les meilleures solutions. Nos enfants victimes aujourd'hui pourraient devenir des citoyens dégénérés plus tard. Notre rôle est de prévenir, pour un avenir meilleur pour nos enfants.