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Réponse à propos de «polétique en scène» : acte deux
Publié dans El Watan le 06 - 04 - 2013

La polémique devient une vertu philosophique qui permet à la pensée, dans son affrontement à une autre, de s'élever vers une vérité, évidemment relative, mais insoupçonnable de supercherie.
Le verbe et les idées peuvent avoir des effets désastreux quand la chanson se fait servante de la vindicte, l'alibi d'une agression morale ou tout simplement destinés à faire briller un ego au détriment d'un autre, absent. «Polémique sur scène»* a quelque chose de choquant, parce que rapidement détournée, pervertie, à charge et sans contradicteur. Pourquoi le conflit opposant Kaddour Naïmi aux comédiens de l'ancienne troupe de Kateb Yacine est-il devenu le procès de l'écrivain, mort il y a 24 ans ? Le CRASC est, me semble-t-il, un lieu de savoir, pas un prétoire.
A 69 ans, Kaddour Naïmi est aujourd'hui plus âgé que ne l'était Kateb et ses 60 ans, au jour de son éloignement en 1989. Le droit patriarcal ou d'aînesse ne s'exerce jamais sur les morts. Surtout ne pas oublier que certains disparus continuent de grandir, par leur postérité acquise de leur art et cet art est légué aux vivants, qui, eux, vieillissent et parfois leur mémoire s'estompe ou se fige dans des illusions rétrospectives. Toute postérité est un artifice, tout legs est un leurre s'ils ne sont pas avalisés par l'histoire, qui, elle, fonde son jugement sur la qualité de l'œuvre accomplie et ses possibilités à être déclinée à tous les présents successifs.
Suggérer, voire affirmer, que le legs et la postérité de Kateb sont abusifs ou en partie usurpés, mérite d'aller plus loin que les formules du genre «l'apport de Naïmi a été fondamental» ou «Kateb a fait ses classes dans ce type d'écriture auprès de Naïmi», ou encore «Kateb n'était pas familier avec le genre théâtral qu'il abordait avec le Théâtre de la mer…», affirmations bémolisées par un charitable «ce qui ne diminue en rien le génie de Kateb». Mohamed Kali est radical, mais imprudent, quand il affirme : «La mise au point de Naïmi bat en brèche certaines mystifications sur le théâtre en arabe algérien de Kateb, ainsi que des assertions clés de bien de thèses à ce propos. La plupart ont minoré, sinon fait l'impasse, sur l'apport des compagnons de Kateb, un apport reconnu par ce dernier.» Questions :
Qui a recensé et analysé les milliers de thèses, d'essais et autres études sur la vie et l'œuvre de l'écrivain ? Qui a désigné les mystificateurs et tous des thuriféraires qui ne méritent même pas la fumée de l'encens qu'ils brûlent ? Si ce qui est fondamental dans la pièce Mohamed prends ta valise est érigé par l'animateur du Théâtre de la mer et si Kateb était en classe de CM2 auprès du maître Naïmi, quel fut son rôle et sa fonction dans l'édifice théâtral en question ?

Le génie de Kateb n'aurait-il servi qu'à poser les tuiles sur le toit, ou à passer une couche de peinture ? Si Naïmi a introduit la forme halqa, le chant et la musique en scénographie, cela ne supposerait-il pas que Kaki, Seddiki, Alloula… n'étaient pas encore nés ? Quid du coryphée dans Le cadavre encerclé et dans Le cercle des représailles ? Kateb, avec Jean-Marie Serreau et Alain Ollivier, n'avaient-ils pas déjà introduit des éléments de la halqa, du chant, de la musique dans la mise en scène de Les ancêtres redoublent de férocité, de Nuage de fumée, de La poudre d'intelligence et, de cette dernière pièce, la scène finale est reprise dans Mohamed prends ta valise ? Après Douta Sek, magnifique acteur sénégalais, dans le rôle du gouwal, c'est la belle voix liturgique de Taos Amrouche qui lui succédera sur les planches. Féminiser le gouwal ou le meddah, fallait y penser !
Kateb a toujours cherché à «maghrébiniser» son spectacle, surtout à partir de 1967-1970, au moment où il prend un virage dans son écriture, en abandonnant la figure obsessionnelle de Nedjma et en écrivant des textes pamphlétaires d'une féroce charge contre le socialisme «gandourien» (Le sculpteur de squelette, Les chiens du douar, L'Anafrasie, La gandourie en uniforme…) et contre les Frères monuments qui «vendent le pétrole et gardent la foi».
Pour le théâtre auquel aspirait Kateb Yacine, l'obstacle était la langue. Laissons la genèse aux exégètes de la Bible et fouillons dans l'histoire pour repérer les conditions de la création de Mohamed prends ta valise. Cette pièce est ancrée dans l'imaginaire de Kateb depuis son arrivée en France, en 1947. Son voyage au Vietnam l'a mis face à la figure d'un immigré revenu en son pays et devenu dirigeant d'une Révolution et chef d'Etat : l'oncle Hô. L'homme aux sandales de caoutchouc inspire Mohamed prends ta valise, comme le voyage à Beyrouth impose à Kateb l'écriture de La guerre de 2000 ans et de Boucherie de l'espérance.
Quand, en 1970, Ali Zamoum vient le chercher dans le petit village du nord de l'Oise où il s'était isolé, Kateb conduisait un chantier d'une dizaine de projets littéraires et théâtraux en un millier de pages dactylographiées, il accepte de rentrer au pays et animer une troupe théâtrale. Le Théâtre de la mer est fondé par Kaddour Naïmi le 20 août 1968 à Oran, avec les fonds propres de ses fondateurs.
La Compagnie accepte de perdre son autonomie financière en se mettant sous la tutelle du ministère du Travail qui lui accorde un local et les subventions nécessaires. La troupe trouvait en Kateb un auteur accompli, reconnu et Kateb trouvait une troupe de comédiens volontaires, passionnés, maîitrisant la langue arabe populaire autant que le français. Ecoutons Kateb dire sa reconnaissance : «La rencontre avec cette troupe (Théâtre de la mer) a été une grande chance pour moi parce qu'elle m'a permis de vérifier que j'étais capable de créer en arabe populaire et que, simplement, j'avais besoin d'un groupe de théâtre pour retrouver mes sources après dix ans d'exil, pour combler mes lacunes qui pouvaient exister dans mon langage… Là pour la première fois j'ai réalisé un vieux rêve…»
(Voix multiples, entretien avec H. Gafaïti, 1983 p.10 et 9). Alors que penser de la déclaration de Naïmi, faite en 2013 et dans laquelle il explique les raisons de sa démission de la troupe ? «Ainsi, conformément aux règles autogestionnaires que j'ai moi-même édictées, mis en minorité, j'ai démissionné (…) A cette époque, j'ai raisonné de manière superficielle quant aux mobiles de Kateb Yacine (…) En fait avec le recul, je crois bien que Kateb, du moins dans cette affaire, avait fait sienne la position du PAGS consistant à soutenir la bourgeoisie nationale et le gouvernement contre l'impérialisme.»
Passons sur les «règles autogestionnaires édictées par moi-même» qui relèvent, non de l'autogestion, mais de l'autocratie et laissons le lecteur connaissant Kateb, lisant ses écrits, regardant son théâtre, méditer sur le soutien de l'écrivain à la bourgeoisie nationale des années 1970-73. Pourquoi ne pas poser la question à un bourgeois national, à un mouhafadh ou à un wali ?
Personne ne se grandit ni s'honore en jetant quelques pelletées de terre sur une tombe, depuis un quart de siècle fermée. N'en déplaise aux grincheux, je préfère être thuriféraire d'un poète qui continue à me donner la joie de le lire, que maladif de la gloire.
B. M. Aix-en-Provence, le 3 avril 2013.
*Théâtre : Y a-t-il un cas Kaddour Naïmi ? Polémique en scène. Par Mohamed Kali. Arts & Lettres, El Watan, 30 mars 2013, pages 11 et 12.


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