Khalida Toumi a reconnu, implicitement, l'immense injustice commise à l'encontre de l'écrivaine qui vit au Liban depuis trente ans. « Je suis heureuse d'être la première ministre de la Culture de l'Algérie à vous honorer dans votre pays. Vous êtes la reine du roman arabe. Même si l'hommage que nous vous rendons est tardif, mais il aura un effet certain sur votre cœur », a-t-elle déclaré. Khalida Toumi n'a pas hésité à s'adresser à Ahlam Mosteghanemi en terme de « Sa majesté » et à évoquer la mémoire de son père le moudjahid Mohamed Chérif. « Je sais que Ahlam Mosteghanmi, qui a reçu beaucoup de distinctions, attendait depuis longtemps la reconnaissance des siens. C'est qu'elle est restée Algérienne jusqu'à la moelle, et que cet hommage modeste que nous lui rendons ne sera pas passager. C'est l'hommage du pays à la fille du pays », a ajouté la ministre de la Culture. Selon elle, Ahlem Mosteghanmi a redonné au roman arabe tout son éclat. Elle a qualifié l'auteure de Mensonges d'un poisson de cas littéraire rare et d'écrivain de génie. « La beauté des mots se mélangent à l'imaginaire réaliste qui met en valeur le sens de la patrie. Son style est agréable, facile et difficile à la fois, fusion cohérente entre poésie et écrit littéraire sans frontières, touches magiques qui appellent à relire à chaque fois ses textes », a souligné Khalida Toumi. « Tawahechtkoum » ! (Vous m'avez manqué), a lancé Ahlem Mosteghanmi en disant qu'elle vivait un moment historique. Elle a avoué avoir eu beaucoup de difficultés à apprendre le dialecte libanais. « Le dialecte algérien m'envahit. J'ai pris dans ma valise les chansons de Deriassa, de Fergani, de Saloua, des skecths de Boubagra et de Moh Bab El Oued. Mais aussi des chants patriotiques qui faisaient à chaque fois pleurer mon père. L'Algérie m'a tant fait rire, m'a tant fait pleurer », a-t-elle déclaré. Elle avoue avoir attendu le moment de l'hommage depuis longtemps. « J'ai mis ce soir ma meilleure robe constantinoise pour vous dire combien je vous aime. L'amour se cache dans les détails. Que le chemin pour vous était long. Trente ans pour arriver à cette tribune ! Je suis fière d'être arrivée avec les festivités du 1er novembre », a-t-elle dit. Elle a rappelé ses études au lycée Aïcha à Alger et à la faculté des lettres. Ahlam Mosteghanmi a fait partie de la première promotion des étudiants en langue arabe. « L'Algérie a célébré cette sortie comme un événement national. J' ai souvent dit au Moyen-Orient que les Algériens maîtrisent l'arabe pas par connaissance, mais par amour. C'est le secret de la réussite des plumes algériennes. Nos écrivains ont tiré profit de l'arabe et du français pour gagner le défi », a-t-elle déclaré, rendant hommage à Malek Haddad, Abdelhamid Benhadouga, Kateb Yacine, Mohamed Dib, Moufdi Zakaria, Tahar Ouettar, Zhor Ounissi, Réda Houhou, Amin Zaoui, Rachid Boudjedra, Assia Djebar, Yasmina Khadra. « Prenez soin de nos écrivains. J'espère que l'histoire inscrira ce soir que mon pays aime les écrivains autant qu'ils l'ont aimé. L'Algérie doit mettre les médailles sur les poitrines, pas sur les tombes des écrivains. Les tombes de ceux qui m'ont précédé à la gloire sont toujours nues », a dit Ahlam Mosteghanmi, et en appelant à conserver la dignité des écrivains. Elle a rappelé qu'à l'arrivée des troupes allemandes aux environs de Moscou en 1941, les dirigeants avaient lancé un appel pour défendre « le pays de Pouchkine et de Tolstoï ». « Les pays se reconnaissent à leurs écrivains : La Colombie de Marquez, l'Egypte de Mahfoud, La Grande-Bretagne de Shakespeare, La France de Hugo... », a-t-elle relevé. « Je n'ai pas choisi mon destin. Mais, je n'ai jamais accepté de m'incliner. Je suis venue au monde debout comme l'Algérie », a-t-elle ajouté. Ahlem Mosteghanmi a reçu un burnous et un tableau. La soirée d'hommage a été animée par la chanteuse libanaise Majeda Wahbah et par le joueur de oûd irakien Saâd Mahmoud Djawad. Ahlam Mosteghanmi est venue au Salon international du livre d'Alger (SILA) avec son dernier roman Nissyan Com, qui s'est déjà vendu à 40 000 exemplaires au Moyen-Orient. Selon elle, le livre est interdit aux hommes. « Car, il contient des conseils féminins à des femmes qui ont connu un chagrin d'amour », a-t-elle précisé. Nissyan Com (un jeu mot qui signifie votre oubli). Ahlam Mosteghanmi a donné son accord pour l'adaptation à la télévision de son roman, Mémoire de la chair (Dhakiratou al jassad), une série télévisée qui sera diffusée par les télévisions arabes au ramadhan prochain. Mémoire de la chair a été réédité dix-sept fois depuis 1993, fait unique dans la littérature arabe. Le roman a reçu plusieurs distinctions dont le prix Najib Mahfouz (équivalent arabe du Goncourt) de l'université américain du Caire. « Dhakiratou al jassad m'a tourné la tête. Si quelqu'un m'avait proposé de signer cette œuvre inondée de poésie… je n'aurai pas hésité une seule seconde », avait dit, à propos du roman, le poète syrien Nizzar Kabbani.