Va-t-on vers une restriction des libertés virtuelles, à l'instar de la Chine ou de la Tunisie ? Telle est l'inquiétante question qui taraude l'esprit de nombreux internautes algériens. La raison en est les annonces successives du gouvernement de mesures à mettre en place dans l'optique de protéger la Toile algérienne de tout contenu subversif, à caractère pornographique ou encore toute attaque « cybercriminelle ». En juin dernier déjà, l'Assemblée populaire nationale (APN) adoptait une loi portant règles particulières de prévention et de lutte contre les nouvelles formes de criminalité, dont la cybercriminalité. Projet qui avait alors fait grincer les dents de plusieurs bloggueurs, qui prévenaient de l'opportunité de contrôle et de répression offerte par ces nouvelles dispositions. Et c'est Hamid Bessalah, ministre de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication, qui est revenu à la charge, jeudi dernier, lors d'une séance plénière de l'APN. En réponse à la question d'un député quant à la protection des jeunes Algériens des sites pornographiques, le ministre a annoncé la création prochaine d'un centre national d'échange de données internet. Il expliquera que ce centre sera « une sorte de portail national par où transitent toutes les connexions à Internet, qui aidera à une utilisation optimale du réseau Internet, car toutes les informations de et vers l'Algérie via Internet transiteront par ce portail ». Même si ce dernier affirme qu'il ne s'agit en aucun cas de viser la restriction ou de porter atteinte aux libertés des individus, nombre de professionnels en informatique ou simples « surfeurs » assidus affirment toutefois qu'il y a péril en la demeure. « Ils veulent ouvrir un portail pour fermer les fenêtres (Windows en anglais, ndlr) aux Algériens ! », ironise El Mouhtarem, animateur d'un blog politique d'opposition, algérie-politique (ffs1963.unblog.fr). Peu amène envers l'Etat, l'internaute, qui se cache sous ce pseudonyme, poursuit : « Connaissant la nature du régime algérien et ses velléités hégémoniques, cette loi me fait vraiment peur et je peux affirmer qu'elle vise à verrouiller l'accès à Internet et à le mettre sous étroite surveillance. » Selon lui, cette fermeture annoncée de la Toile, seul espace d'expression libre, est une suite logique du verrouillage des champs politique et médiatique. « J'appréhendais ce type de mesures depuis quelque temps déjà », commente quant à lui un expert en TIC, ingénieur en informatique de son état, officiant au sein d'une multinationale téléphonique. Ce dernier a senti les prémices de ces contrôles du fait du durcissement du gouvernement envers les fournisseurs d'accès à Internet privés. « L'on se doutait bien que l'Etat cherchait à avoir une mainmise sur le Net. Ce que confirme maintenant cette ambition d'avoir droit de regard quant aux sites consultés par les internautes algériens », estime-t-il. D'autant plus que, enchaîne-t-il, les arguments avancés pour justifier ces contrôles sont pour le moins « saugrenus ». « Ils veulent filtrer les contenus directement à la source, au niveau des points d'accès, d'entrée des données, puis de sortie. Cette centralisation, grâce à un logiciel, fait que, d'accord, plusieurs sites pornographiques, puisque c'est de cela dont ils parlent, seront inaccessibles », explique-t-il. « Seulement, ce système pourrait être trop laxiste et laisserait échapper une quantité de pages non identifiées qui peuvent être à caractère pornographique ou être des sites malveillants », poursuit-il. « Ou encore, il sera trop répressif, si l'on compte élargir les cibles à filtrer. Dans ce cas-là, il y aura une perte d'efficacité du réseau et cela aura un impact désastreux sur le trafic et sa qualité. De même l'actualisation des sites se fera en retard, et l'Algérie sera toujours à la traîne en termes d'informations par exemple », prédit l'expert. L'on aura donc compris que ce contrôle laissera tout le loisir aux « censeurs », si telle est leur intention, d'empêcher les gens d'entrer ou de visualiser tout ce qui dérange. Blogs, facebook ou encore sites politiques, et de pister les commentateurs par exemple. Cependant, les autorités escomptent aussi, à travers ce moyen, lutter contre la cybercriminalité. « Quelle cybercriminalité ? Notre pays est l'un des moins exposés à ce type d'attaques. Tout d'abord en raison du taux de pénétration d'Internet dérisoire dans les foyers, mais aussi et surtout dans les administrations ou autres institutions. De plus, tout simplement parce que la cybercriminalité suppose des transactions monétaires, bancaires ou lors d'achats en ligne par exemple, à détourner. Ou encore des sites de grandes institutions, contenant des informations confidentielles, à pirater. Ce qui n'existe pas en Algérie ! », affirme l'informaticien. Pour le bloggueur El Mouhtarem, « tout se fait et se justifie au nom de la lutte antiterroriste. Mais le pouvoir a plutôt peur des révélations sur les scandales financiers qui l'éclaboussent ou encore des mouvements de contestation citoyens qui s'organisent sur les forums ». De même, l'internationalisation des échanges communautaires n'est pas faite pour rassurer l'Etat quant à ce qui pourrait être perçu « à l'étranger ». « J'ai peur que notre pays concurrence la Tunisie ou la Chine en matière de répression de l'expression libre. D'ailleurs, l'Algérie a acheté un logiciel de la Chine qu'elle mettra en œuvre au moment voulu pour ‘'lutter'' contre la cybercriminalité », d'après El Mouhtarem. Et d'ajouter : « Quand on sait que ce pays a la réputation d'être un pays qui excelle dans les techniques du verrouillage de l'accès à Internet, cela a de quoi inquiéter… »