«Tout le patrimoine historique d'Oran est laissé à l'état d'abandon. Tout ce qui est dit est sur cette prétendue restauration est du pipeau ! Pour preuve, la mosquée du Pacha a été fermée il y a plus de trois ans pour une opération de restauration, qui est à l'arrêt. Pareille pour ce qui concerne l'église Saint Louis, classée site patrimoniale. Le Palais du bey subit le même sort, et tous les jours que Dieu fait, il y a des pans entiers de murs qui s'écroulent», s'emporte Kamel Lamek, président du forum culturel oranais «Wahr Ifry Nost». Le vieil Oran compte beaucoup de sites patrimoniaux, délaissés pour la plupart, et méconnus, pour certains, des Oranais même. C'est pour cette raison que des associations à caractère patrimonial organisent, périodiquement, des randonnées pédestres en vue de faire découvrir aux propres enfants d'Oran les trésors dont leur ville regorge. La dernière randonnée en date a été organisée, à la fin du mois de juin, par l'Institut Cervantès d'Oran, et a suscité l'intérêt des visiteurs et amateurs d'histoire. Si, à l'origine, cette visite guidée devait ne se consacrer qu'aux fortifications espagnoles, elle s'est étalée, pour cause d'engouement du public, à la visite d'autres sites. Oran est la ville la plus «fortifiée» de toute la Méditerranée, détrônant même, selon certains spécialistes, l'île de Gibraltar. La ville totalise une trentaine de forts reliés entre eux par un réseau de communication souterrain. Ruines «L'air de rien, l'histoire d'Oran remonte à plus de 100 000 ans !», déclare Massinissa, notre guide. Selon lui, la capitale de l'Ouest algérien se targue d'avoir plus de 260 grottes préhistoriques considérées comme «les plus belles de toute l'Afrique du Nord», et dont la plupart sont encore «vierges». C'est aussi une ville regorgeant de ruines, d'abord d'anciens villages berbères, comme à Misserguin ou à Boutlélis, mais aussi des ruines romaines, notamment à Potus Manus (Bétouia), une commune distante de 42 km d'Oran, et dont la superficie (40 hectares), fait d'elle toute une ville. Massinissa, notre guide, a déploré le fait que Portus Manus soit de la même trempe que Timgad, sans pour autant être mise en relief, et bénéficier du prestige qu'il lui est dû. Un autre site, où les ruines romaines sont étalées, est, bien entendu, Portus De Venus, autrement appelé Mers El Kébir, célèbre de par le monde pour son port qui a été bombardé durant la Seconde Guerre mondiale. Si Oran est réputée pour être la ville la plus «conquise» de toute la Méditerranée, des Phéniciens aux Romains, en passant par les Espagnols, les Turcs et les Français, c'est précisément à cause du port de Mers El Kébir, l'un des plus stratégiques de tout le bassin méditerranéen. Pour l'anecdote, il faut savoir que les Français n'ont quitté ce port qu'en 1968, c'est-à-dire six années après l'indépendance algérienne. Bunkers La randonnée a débuté par la visite de bunkers, construits au début des années 40, pour mettre à l'abri la population locale des bombardements aériens. Ces bunkers ont été construits dans plusieurs sites de la ville, près du siège de la wilaya notamment, mais encore près de la gare ferroviaire, et même à M'dina J'dida. Beaucoup parmi les randonneurs ne soupçonnaient même pas l'existence de ces abris et ont été émerveillés d'en visiter un, en l'occurrence, celui se trouvant à Sidi El Houari, jouxtant la porte de sortie de la promenade de Létang. Par la suite, le groupe de randonneurs s'est dirigé vers la mosquée du Pacha, actuellement en travaux de restauration. On apprendra ainsi que lorsque la ville, au XIVe siècle, fut libérée de l'occupant espagnol par le dey Mohamed El Kébir, le pacha d'Alger, Hassan, afin de célébrer la victoire, a financé la construction de cette mosquée… d'où son appellation. «Les Espagnols étant restés deux siècles et 70 ans à Oran, cette ville était quasiment dépourvue de mosquées. Aussi, à cette époque, la mosquée du Pacha était considérée comme étant la Grande Mosquée d'Oran», explique le guide. D'un style ottoman, la mosquée du Pacha est dotée d'une architecture octogonale, spécifique aux Turcs. Classée en 1952, elle comporte un total de 14 coupoles. Fortifications Les fortifications d'Oran s'étalent ça et là, sur des distances plus ou moins éloignées les unes des autres, il était impossible ce jour-là de les visiter toutes, aussi les organisateurs ont procédé à la visite de quelques-unes seulement : les randonneurs ont été ainsi émerveillés de découvrir le fort Rozalcasar, construit durant la première invasion espagnole (1509-1708), et comprenant notamment une poudrière et des écuries. Les forts d'Oran ont cette particularité, unique dans le monde, d'être reliés, malgré la distance qui les sépare, par des réseaux souterrains de communication. Tambour Saint-José. Oran est aussi une ville réputée pour ses portes : la porte de Santon, classée depuis 1958, qui donne directement sur le sentier menant au port de Mers El Kébir, mais encore la porte d'Espagne classée, elle, dès 1906, porte de Canastel, seule porte encore debout à l'heure actuelle, et qui donne directement sur la rampe de Madrid, en plein Sidi El Houari. Mais là où les visiteurs ont été le plus subjugués, c'est bien sûr en visitant le tambour Saint José. Quand on y entre, si on n'est pas accompagnés d'un guide, on peut ne plus en ressortir. Un chemin labyrinthique nous est proposé, qui peut nous mener à la fois jusqu'au fort de Santa Cruz, au quartier d'El Derb, au Palais du bey, et dans bien d'autres sites encore. En y pénétrant, beaucoup de randonneurs ont eu en mémoire cette célèbre réplique du film, Astérix et Obélix mission Cléopâtre : «Ce tombeau sera votre tombeau.» Effectivement, il a été construit par les Espagnols, dans le but de piéger l'ennemi, et de le faire perdre dans des allés labyrinthiques, desquels il ne peut plus en ressortir. La randonnée s'est clôturée par la visite des remparts de La Casbah, véritable trésor architectural, mais demeurant, pour le plus grand dam des amoureux d'Oran, dans un état de décrépitude. En dépit de la chaleur suffocante qui régnait en ce jour-là, une bonne centaine d'Oranais ont préféré sortir de chez eux, et prendre part à cet événement qui revisite l'histoire de leur ville. S'ébranlant de la place du 1er Novembre, la randonnée a emprunté les ruelles étroites qui mènent vers Sidi El Houari, pour aller jusqu'au fin fond du vieil Oran. Les forts, les portes et les ruines, dont Oran pullulent, ont de quoi non seulement «booster» le tourisme, mais aussi créer un florilège de toutes sortes d'emplois. Casbah «La vieille Casbah a été squattée par 200 familles, qui ont toutes été relogées. L'association a proposé au ministère de la Culture d'entreprendre, au sein de la vieille Casbah, des fouilles archéologiques ! Cela va faire un siècle qu'aucune fouille archéologique n'a été entreprise dans le vieil Oran. Et nous, dans l'association, on est sûr qu'on trouvera des trésors de la période arabo-islamique», affirme Kouider Métaïr, président de l'association Bel Horizon. Les randonneurs ont été révoltés de voir ces trésors dont regorgent leur ville dans cet état de décrépitude, sans qu'ils ne soient pris en charge, de manière sérieuse, pour leur restauration. Plus que jamais, les associations oranaises doivent se mobiliser pour que soit préservé la mémoire d'Oran, une mémoire construite pendant des siècles. «Je constate que la plupart des projets sont en panne. A mon sens, il est urgent de faire d'évaluer ce qui est à restaurer, pour éviter de refaire les mêmes erreurs que celles commises dans les précédentes tentatives de restauration, conclut Kouider Métaïr. Car il faut savoir une chose : une erreur dans le patrimoine est une erreur irréversible, qu'on ne peut plus rattraper !» n Pour connaître les prochaines dates des balades, contactez l'association au 061.21.07.14.