Paris. De notre correspondante La torture à laquelle il sera soumis par le colonialisme et dont il témoignera avec précision et concision dans le magistral La Question, renforcera son engagement de communiste pour la justice et l'égalité des droits. Doux, timide et modeste, témoigneront unanimement tous ceux qui l'ont approché, Henri Alleg était intransigeant, sans concession ni compromis quand il s'agissait des valeurs qu'il défendait. «Je n'ai commencé réellement ma vie d'homme et ma vie intellectuelle et politique qu'à mon arrivée en Algérie, en 1939. J'avais 18 ans et j'étais très passionné par la découverte du monde, avec des idées de gauche, entre guillemets un peu anarchisantes», nous affirmait-il dans un témoignage pour les besoins d'un spécial 40e anniversaire du déclenchement de la lutte de libération nationale (El Watan du 1er novembre 2004). «L'Algérie devait être une étape d'un voyage à travers le monde. Les circonstances ont fait que je suis resté… Je me suis lié, ce qui était, à l'époque, une chose exceptionnelle, avec des jeunes Algériens. Des Algériens qui, je ne le savais pas, je l'ai découvert après, étaient militants du PPA. Il y avait aussi des gens qui n'étaient pas du PPA, mais qui étaient sous son influence. Un de mes copains était Mustapha Kateb, l'ancien directeur du TNA ; à l'époque, il était postier. J'étais aussi ami avec Ali Tessah, un ouvrier. Un autre, Mohamed Boursas, était le fils d'un commerçant de La Casbah. C'est grâce à eux que j'ai ouvert les yeux sur la réalité coloniale.» (op cit). Gilberte, compagne de vie et de combat Son combat, son engagement étaient partagés par son épouse Gilberte, disparue en avril 2011. Dans son ouvrage Mémoires algériennes, Henri Alleg raconte qu'il fit la connaissance de Gilberte Serfaty, native de Mostaganem, à l'agence de presse France-Afrique. C'était dans les années 1945. En application des lois antijuives de Vichy, sa sœur Andrée et elle sont exclues, l'une du lycée, l'autre de la faculté des lettres d'Alger. Toutes les deux adhèrent au Parti communiste algérien au cours d'une réunion à laquelle Henri les avait invitées. Gilberte et Henri se marient en juin 1946. Ils participent ensemble au combat anticolonialiste, au sein du PCA ou dans les organisations populaires animées par les communistes, Gilberte à l'Union des femmes d'Algérie et Henri à l'Union de la jeunesse démocratique algérienne. Sanctionnée par son administration pour son action militante, Gilberte, qui était professeur d'anglais, quitte l'éducation nationale. Après Novembre 1954, Henri est contraint, comme plusieurs autres militants du PCA, de rentrer dans la clandestinité pour échapper à une arrestation et poursuivre le combat anticolonialiste. Les deux enfants du couple, André et Jean, nés en 1946 et 1952, sont envoyés en France où des parents les recueillent pour que Gilberte puisse contribuer, elle aussi, à la lutte pour la libération de l'Algérie. Quand Henri est arrêté, le 12 juin 1957, Gilberte fait tout pour qu'il soit libéré. Son action lui vaut d'être expulsée en France où elle poursuit le combat pour sauver son époux. Elle l'aidera plus tard, vers la fin de la guerre d'Algérie, alors qu'il est emprisonné en France, à s'évader de son lieu de détention. Au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, elle obtient la nationalité algérienne pour sa participation à la guerre de Libération. Henri Alleg et Alger républicain «J'ai rejoint Alger républicain en 1950. Alger républicain, contrairement à l'idée commune, n'a pas toujours été ce journal qui, dès sa création, combattait pour l'indépendance de l'Algérie. C'est un journal qui est né dans le sillage du Front populaire français et qui avait reçu l'appui, en Algérie, de démocrates et de syndicalistes européens, de gens qui étaient plus ou moins socialistes. Du côté des Algériens, il y avait des gens de la bourgeoisie, des commerçants qui comprenaient qu'il fallait pour l'Algérie un quotidien qui puisse faire échec à la propagande colonialiste raciste exacerbée, véhiculée par la presse locale. Alger républicain avait été connu parmi les Algériens pour son action au moment du procès de cheikh Tayeb El Oqbi, qui était le président du cercle du Progrès à Alger. On l'avait accusé d'avoir fourni de l'argent pour assassiner le mufti d'Alger. Alger républicain, par la plume d'Albert Camus, a défendu cheikh El Oqbi et a fait la démonstration que l'affaire était montée de toutes pièces par l'administration coloniale. El Oqbi a été acquitté. C'était une victoire formidable. Le changement s'est opéré à Alger républicain par la suite, avec la venue au journal de Boualem Khalfa, de moi-même et d'autres militants du PCA. Ensuite est venu Abdelhamid Benzine. Alger républicain, auparavant, même s'il avait des positions ouvertes, n'était pas un journal qui comprenait ou exposait le fond même de la question coloniale. Ainsi, pour Albert Camus, les Algériens devaient avoir les mêmes droits que les Français, mais il ne disait pas que les Algériens n'étaient pas des Français et qu'ils avaient le droit d'être maîtres de leur pays, avec leur République, leur drapeau. Il ne parlait pas du passé prestigieux de la civilisation arabe. Pour Albert Camus, l'Algérie avait commencé en 1830. Même quand il parlait du passé de l'Algérie, il parlait des ruines de Tipasa ou de celles de Cherchell, mais entre les ruines de Tipasa et le débarquement à Sidi Ferruch, c'était comme s'il n'y avait rien eu. A partir de 1950, Alger républicain est devenu un vrai journal algérien, avec le souci de ne pas se couper de la population européenne, qui pouvait être amenée à comprendre que l'intérêt des Européens qui n'étaient pas des colonialistes, et de leurs enfants, s'ils voulaient rester en Algérie, c'était de se joindre aux Algériens exploités et dans la lutte même pour une autre Algérie, de revendiquer leur appartenance à l'Algérie. C'est ce que nous avons défendu.» (El Watan du 1er novembre 2004).