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Des privatisations au parfum de scandale
Publié dans El Watan le 05 - 08 - 2013


– CNAN Group : fausses factures et sociétés écrans

C'est sans doute le cas qui illustre le plus les anomalies qui ont entaché le processus de privatisation. Bien que les performances de l'entreprise publique SNTM/CNAN, laquelle a été restructurée et remplacée en 2003 par CNAN Group, laissaient à désirer, celle-ci disposait tout de même d'une flotte de 47 navires. L'entreprise a été par la suite filialisée, une vingtaine de navires ont été vendus, tandis que le capital de deux filiales a été ouvert à 49% au partenariat, l'objectif était de moderniser la flotte du pavillon national. Aujourd'hui, le transport maritime de marchandises est entre les mains d'armateurs étrangers, dans la mesure où CNAN Group n'arrive pas à capter plus de 2% du marché algérien du transport de marchandises. Le chiffre d'affaires de l'armateur national a été divisé en deux en à peine 5 ans. Pis encore, CNAN Group est aujourd'hui empêtré dans une série de scandales liés à sa gestion, et la vente des navires à partir de 2004. Il ne faut pas non plus oublier la joint-venture avec le jordano-saoudien Pharaon dans le groupe IBC, où les anomalies ayant marqué les opérations d'affrètement de navires, sociétés écrans et fausses factures ont permis la constitution d'un véritable réseau pour siphonner les capitaux algériens. Et comme si cela ne suffisait pas, Pharaon a réussi après arbitrage à accaparer 9 navires de la CNAN et lui réclame le paiement de 17 millions de dollars de factures suspectes.

– Sider : les stocks du complexe El Hadjar

Il est impossible de parler de privatisation sans évoquer le complexe d'El Hadjar. C'est le cas type d'une privatisation où le repreneur n'a non seulement pas respecté le cahier des charges, mais n'a pas réussi à développer les capacité du complexe, ni à couvrir les besoins du marché. Bien au contraire. C'est en 2001 que l'indien Ispat, devenu aujourd'hui Mittal Steel, prend 70% du capital du complexe sidérurgique d'El Hadjar. Les conditions étaient claires : maintenir les effectifs, investir 175 millions de dollars, valoriser le complexe et porter la production de 800 000 à 1,5 million de tonnes par an. Douze années plus tard, le bilan est révoltant. Les effectifs du complexe ont été divisés par deux, la production a du mal à atteindre les 600 000 tonnes par an et seuls 56 millions de dollars ont été effectivement investis dans l'acquisition d'un nouveau laminoir. Pis encore, ArcelorMittal n'a retenu que 10 filiales sur les 24 existantes. Il a depuis fermé la cokerie, faisant de l'Algérie un importateur de coke issu des usines Arcelor en Espagne et la tuberie sans soudure, unité unique dont l'ensemble de la région du Maghreb agonise. Et dire que le repreneur indien qui fait une affaire en rachetant la plus grande partie de ce fleuron de l'industrie algérienne pour tout juste 150 millions de dollars a récupéré des stocks de 300 000 tonnes de brames d'acier ainsi que 8 millions de dollars de consommables, matières premières et pièces de rechange !

– ENGI : d'exportateur à importateur de gaz industriels

L'objectif premier de toute opération de privatisation est de moderniser le processus, d'apporter le savoir-faire, dans l'objectif de mieux vendre et surtout d'exporter. Dans le cas de l'Entreprise nationale des gaz industriels, qui a été créée à la suite de la nationalisation (du temps du président Boumediène) des unités du français Air Liquide, la privatisation n'a pas tout à fait suivi ce cheminement. En 2007, l'allemand Linde Gaz prend 66% de l'ENGI qui englobait à l'époque 10 unités, pour seulement 27 millions d'euros. Une aubaine pour le partenaire allemand dans un pays producteur d'énergie et de gaz. ENGI employait 700 personnes et réalisait un chiffre d'affaires de 32 millions d'euros. Elle couvrait les besoins du marché et exportait même les excédents vers le Maroc et la Tunisie. Après sa privatisation, l'ENGI, devenue Linde Gaz Algérie, a fermé certaines de ses installations qu'elle jugeait dangereuses, à l'image des ateliers d'acétylène, pour les remplacer par une unité d'oxyde d'éthylène. C'est une entreprise qui importe de l'oxygène et du protoxyde d'azote, sans pour autant parvenir à couvrir la demande du marché. Les pénuries de gaz industriels et de gaz médicaux en sont la parfaite illustration. L'entreprise a également réduit ses effectifs. En termes de balance devises et de création d'emplois, il est difficile aujourd'hui de trouver un avantage à cette privatisation.

– ENAD : l'enjeu du foncier

Les actifs résiduels des entreprises publiques, notamment fonciers, ont été un enjeu majeur que ceux qui eurent à gérer les privatisations ont oublié de mettre dans la balance. La privatisation de l'ENAD au profit de l'allemand Henkel est souvent dépeinte par les chantres de la privatisation comme étant un exemple de réussite. Et c'est le cas. Il y a toutefois une ombre à ce tableau enjolivé : en 2001, Henkel prenait 60% des unités ENAD de Chelghoum Laïd, de Réghaïa et de Aïn Témouchent, avant d'en racheter les 40% restant en 2005. L'entreprise publique est tombée à 100% dans l'escarcelle du partenaire allemand. Cependant, la vente de terrains faisant partie des actifs résiduels de l'entreprise à Réghaïa a éveillé les doutes et les soupçons en 2010.

– ENCG : l'ami Kouninef

L'exemple de l'Entreprise nationale des corps gras est sans doute celui qui reflète le mieux la manière dont on casse une entreprise pour la brader ensuite à un privé, sans pour autant la redresser. L'ENCG était l'un des fleurons de l'industrie agroalimentaire nationale. Jusqu'en 1997 elle détenait 95% du marché national et jusqu'en 2004, malgré les difficultés auxquelles l'entreprise devait faire face et l'émergence de nouveaux acteurs privés, elle arrivait encore à capter 75% du marché des huiles de table pour un chiffre d'affaires annuel de 1800 milliards de centimes. Qui ne se souvient pas d'ailleurs de l'huile Safia. Cependant, créances douteuses et blocage des crédits auront eu raison de l'entreprise. Ainsi en janvier 2004, alors que la BADR suspend un crédit d'approvisionnement, l'ENCG croule sous un découvert de 800 milliards de centimes contre des créances de l'ordre de 400 milliards de centimes. On décide de la privatiser en 2006 et 2007 au profit du groupe La Belle, et du groupe Kou GC, propriété des frères Kouninef, plus connus pour leurs liens d'amitié au sommet de l'Etat. C'est ainsi que Kou GC récupère 80% des unités ENCG d'Alger et d'Oran. Pour autant, cette privatisation, dont les conditions n'ont pas été rendues publiques, n'aura pas permis de redresser l'entreprise. Les difficultés persistent et le versement des salaires irréguliers, selon les syndicalistes, a été à l'origine de plusieurs grèves. Pourtant, et pour le cas de l'unité d'Alger, les syndicalistes avaient indiqué à l'époque du rachat de Cogral par Kou GC que celui-ci n'avait déboursé que 42 milliards de centimes pour cette seule unité, alors que les créances détenues sur les clients débiteurs avaient atteint les 70 milliards de centimes.

– ETER Guelma : des équipements sous scellés

La privatisation de l'ETER Guelma, seule entreprise algérienne de fabrication de porcelaine, a viré au cauchemar. L'entreprise faisant face à diverses difficultés induites par plusieurs crises. La première date des années 1990, moment où les groupes terroristes ont fait main basse sur les principaux gisements des matières premières.
Cependant, lorsque le gouvernement algérien a décidé de privatiser en 2010 l'unité qui faisait partie de l'Entreprise céramique et vaisselle de l'Est, le partenaire italien ETER Italia s'était engagé à redresser la situation et à créer 4 nouvelles lignes de production. Rien n'a été fait, l'entreprise a sombré définitivement dans la crise. Selon Smaïl Kouadria, ex-syndicaliste et député PT de Guelma, les 125 travailleurs de l'usine sont aujourd'hui sans salaire depuis près d'une année, le loyer pour la concession du terrain d'assiette n'a pas été payé depuis 2007. Et cerise sur le gâteau, les équipements cédés aux Italiens dans le cadre de cette privatisation ont été mis sous scellés par la banque française BNP-Paribas en raison du non-remboursement depuis 2007 d'un crédit leasing de 750 millions de dinars (l'équivalent de 7,5 millions d'euros).


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