Il y avait 33 rôtisseries sur la rue des Fusillés, il n'en reste malheureusement que 5. Toutes les boutiques qui se trouvaient sur le tracé du tramway ont été rasées et leurs propriétaires obligés de délocaliser leurs commerces. Le dernier à mettre la clef sous le paillasson avait son magasin en face de la Cour d'Alger. Il a été obligé de fermer puisqu'après les travaux de la trémie Fernane Hanafi, aucun accès ne donnait sur son local », raconte, désabusé, le gérant d'une boutique où se trouvent des clients pressés de quitter cet endroit devenu insalubre. La soixantaine vigoureuse, l'homme qui a ouvert son commerce dans les années 1990, affirme que les travaux du tramway, lancés en 2007, ont changé durablement la physionomie du quartier. « Des familles venaient goûter de la bonne chère. Maintenant, l'activité connaît un essor à Draria, mais pas seulement. Dans plusieurs quartiers, des jeunes s'improvisent ‘‘chouwayine'' et proposent des brochettes à 10 DA. Je suis étonné par l'engouement de gens qui s'empiffrent d'une viande douteuse. Ici, la brochette est vendue entre 30 et 100 DA, mais loin de nous l'idée de fourguer aux clients une viande pourrie », poursuit-il en regrettant l'inertie des autorités qui « laissent des escrocs embrocher des gens dupes ». Même rengaine et même désolation plus bas, à l'entrée du gargantuesque abattoir. Un jeune serveur tiré à quatre épingles affirme, la main sur le cœur, que « le commerce a vécu, ici ». « On ne comptait plus les clients les jours de semaine, mais surtout le week-end. Des familles choisissaient notre établissement dont la réputation s'est faite depuis 1996. Même des ambassades et les administrations passaient commande à l'occasion. On se permettait même d'exporter au-delà de la mer », assure-t-il en montrant du doigt l'ancien immeuble décharné de Khalifa Bank transformé en rôtisserie. L'abattoir d'où s'approvisionnent les rotisseries de la rue des Fusillés devra décider définitivement du sort des rares vendeurs qui font de la résistance. Le jeune serveur reste néanmoins sceptique : « Les autorités ne vont pas faire le pas. On n'a pas cessé, depuis 2003, de nous débiter la même rengaine : l'abattoir va fermer. On ne voit rien venir plus de 6 ans après. Les autorités ne vont tout de même pas commettre la bêtise et le sacrilège de démolir un endroit aussi imposant et connu des bouchers qui y affluent de partout. »