L'hystérie s'est emparée de la rue algérienne. La folie furieuse. Mus par un esprit de revanche, des centaines de jeunes s'adonnent, depuis les agressions perpétrées contre les supporters qui ont fait le déplacement au Caire, à des actes de « représailles » aveugles et d'une violence inquiétante. Avant le match du 14 novembre dernier et suite au caillassage du bus de l'équipe nationale, les actes d'hostilité envers les Egyptiens se cantonnaient à la destruction de puces téléphoniques Djezzy ou à des appels au boycott « symbolique » de l'opérateur de téléphonie mobile durant quelques heures. Mais la tension est montée de plusieurs crans et la rancœur envers l'Egypte a vite atteint son paroxysme en se déchaînant sans discernement contre ses « représentations ». Et le premier a en faire les frais est l'opérateur de téléphonie mobile Djezzy, filiale algérienne du groupe égyptien Orascom. Ainsi, dans la soirée de dimanche, le siège de la direction générale de l'entreprise a été saccagé par des centaines d'individus. La mise à sac aurait duré plusieurs heures. Le lendemain matin, le quartier de Dar El Beïda où se situe l'édifice ressemble à un champ de bataille : portes défoncées et béantes, vitres brisées, climatiseurs extraits des murs, câbles électriques arrachés et qui pendent çà et là. La route est bloquée à la circulation, mais pas aux passants. Et encore moins aux pilleurs. Une cinquantaine d'individus s'engouffrent dans les locaux saccagés. Ils en ressortent, quelques minutes plus tard, qui portant un cadre de porte, qui une bobine de fil, qui un pan de faux-plafond. Des fourgonnettes, stationnées en contrebas, attendant sagement le butin. De même, des dizaines de jeunes quittent les lieux en poussant tranquillement des brouettes emplies d'un amas de combinés de téléphone, de ferraille, de morceaux de contreplaqué ou de mobilier de bureau. Les « récupérateurs » sont parfois très jeunes. Progressant difficilement, claudiquant sous le poids de la charge, quatre garçons d'à peine 8 ans tentent de transporter des planches et un téléphone « de chez Djezzy ». Que comptent-ils en faire ? « On va jouer avec. Aux dominos et tout », répondent les enfants, ajoutant à brûle-pourpoint : « Mais ce n'est pas nous qui avons tout cassé. Nous, nous sommes arrivés bien après. Mais ce sont les Egyptiens, ils ont tué des supporters de chez nous. » Dans la rue adjacente, les forces de l'ordre, ayant abandonné le siège détruit aux mains des pilleurs, tentent de protéger les autres immeubles d'OTA. Des véhicules de police et une brigade antiémeute veillent à ce qu'aucun autre débordement n'ait lieu ; les buildings sont indemnes, si ce n'est quelques vitres brisées à coups de pierres. Une chance que n'ont pas eue plusieurs agences de l'opérateur. Bab El Oued, Audin, Tizi Ouzou, ce sont ainsi près d'une dizaine de boutiques à avoir fait les frais des foudres des supporters déçus. Le siège de Dély Ibrahim a quant à lui été évacué et mis sous haute surveillance. Une cellule de crise a même été installée. Les employés, algériens dans leur majorité, sont ainsi au repos depuis le jour du match. Certains appréhendant la suite des évènements et espèrent que dans leur « chasse à l'Egyptien » les agresseurs fassent « la part des choses ». Djezzy n'est pas l'unique cible à casser. Les locaux d'Egypt Air de la place Audin ont été, hier dans la journée, pris d'assaut par des manifestants déchaînés, pillés puis incendiés. De même, à Bab Ezzouar, au marché d'El Djorf, la bâtisse qui abritait un tapissier égyptien a été brûlée dans la nuit dimanche. Le lendemain, l'on pouvait encore sentir, au loin, l'odeur du brûlé. « Heureusement que l'immeuble est excentré et qu'il n'est pas en plein marché. Sinon, tout le quartier y serait passé », lance un voisin, soulagé par cette catastrophe évitée. Devant les trois étages calcinés, un attroupement d'hommes se forme, contemplant l'ampleur des dégâts. Les portails sont tordus et défoncés, les murs noirs de suie et de cendre. Des restes carbonisés de tapis colorés jonchent le sol. « Une horde de jeunes surexcités ont envahi les lieux vers 21h », racontent les témoins de la scène. « Ils ont forcé les portes et embarqué toute la marchandise stockée. Puis ils ont aspergé les locaux d'essence. Et voilà le résultat ! », continue le restaurateur voisin. Quelqu'un est-il intervenu ? « Que voulez-vous que les forces de l'ordre fassent ? C'est à peine si les incendiaires ont laissé les pompiers éteindre les flammes », répond-il. « Le propriétaire des lieux a fermé boutique depuis près d'une semaine. Il a d'ailleurs disparu de la circulation. Heureusement d'ailleurs, parce que sinon, il aurait été lynché », explique son collègue, tandis qu'un garçon d'une quinzaine d'années lance en passant rapidement : « Je peux vous promettre que ce n'est pas fini. Il est prévu de faire la même chose à une autre boutique masrya. » Inquiets, les riverains confient qu'ils ont maintenant peur : « D'autres Egyptiens détiennent effectivement des commerces ici. Mais ceux-là sont en plein cœur du marché. Hier, les jeunes voulaient leur faire subir un sort similaire, mais nous avons réussi à les en dissuader. » Car si un incendie se déclarait dans ces locaux, il se propagerait rapidement et ferait flamber à coup sûr la place en entier. Et par la même atteindre les nombreux habitants qui logent aux étages supérieurs, les asphyxier, voire les tuer. « Jusqu'à présent, nous avons réussi à leur faire entendre raison. Mais pour combien de temps ? », s'interrogent, anxieux, ces personnes. Un adolescent de conclure, sombre et pensif : « C'est fou ! C'est terrible ! Ce sont des innocents qui paient pour l'horreur des autres… »