Alors que le procès du Tunisien Taoufik Ben Brik s'est ouvert hier en Tunisie, voici la lettre que Khadija Ben Brik adresse à son père, journaliste emprisonné depuis jeudi 29 octobre. Taoufik Ben Brik a été arrêté après avoir été convoqué par la police pour être entendu à propos de la plainte d'une femme. La dame en question accuse l'opposant de l'avoir agressée. Au moment des faits, Khadija Ben Brik était aux côtés de son père. Le verdict du procès aurait lieu le 26 novembre. Papa, pourquoi est-ce qu'on t'a mis en prison ? Et pour combien de temps ? Je ne peux pas croire à cela. Non, ce n'est pas juste. Je n'oublierai jamais le visage de cette femme. Elle avait un teint calciné, des cheveux rouge-noir crépus, tirés, raides, et surtout elle était très maigre mais très forte puisqu'elle a pu s'attaquer à mon papa, lui qui est si bien baraqué, si fort. Je n'oublierai jamais son visage. Je la revois chaque nuit dans mes cauchemars. Alors que je n'étais encore même pas montée dans la voiture et que papa prenait tout son temps pour mettre les clés en contact, elle cogne notre vieille 106. Pourtant, il y a bien un espace d'au moins 3 mètres qui nous sépare. Elle sort de sa voiture et se met à crier, accusant mon père de l'avoir emboutie. Il faut dire que j'avais remarqué qu'elle était déjà dans sa voiture bien avant que nous arrivions. Elle attend quelqu'un, me suis-je dit. Papa, je me souviens très bien, elle s'est agrippée à ta chemise blanche avec une telle force que j'ai eu peur pour toi. Tu as appelé les ouvriers qui travaillaient sur le chantier, près de l'école, pour qu'ils viennent à ton secours. Grâce à eux, tu as pu te débarrasser de ses mains de fer. On est montés dans la voiture. Elle a voulu monter aussi, mais heureusement que j'ai eu la présence d'esprit de verrouiller les portières. Criant toujours « au poste de police ! », un autre homme vient. Il porte un costume gris et une cravate. Il a l'air d'un banquier. .Il se met à taper avec violence sur le capot de la voiture, jusqu'à la secouer. J'avais très peur. Je te regardais, impuissante. Tu étais blanc. Je voulais t'aider, papa ; mais désolée, je ne suis pas assez forte. Je ne pipai mot tellement j'étais terrorisée. A aucun moment, papa, tu n'as fait marche arrière pour cogner sa R19 verte ; sinon la 106 de maman aurait gardé des traces de peinture, j'imagine... A aucun moment je ne t'ai vu l'agresser, ni tirer ses cheveux. A aucun moment je n'ai entendu l'insulter. Au contraire, je t'ai entendu lui présenter des excuses, ce qui m'a révoltée. Comment papa, elle t'agresse, et tu lui fais des excuses ? « Il faut être gentleman avec les femmes, même quand elles te tabassent » ; m'as-tu répondu. Papa, en enlevant ta chemise blanche, ton polo et ton tricot de peau déchirés, tu avais des traces rouge-bleuâtre autour du cou. Cela m'a figé le cœur, elle a failli t'étrangler en tirant sur ta chemise. Papa, excuse-moi si, en rentrant, je t'ai accusé de ne m'avoir pas protégée des cris et des insultes de cette femme. Sa voix stridente résonne encore dans mes oreilles. Papa, je veux que tu me tiennes dans tes bras, que tu me serres bien fort, je veux pleurer pour oublier cette voix, ces mains, ce visage, ces cheveux, ce film d'horreur. Papa, je t'aime. Khadija