Aujourd'hui et demain, la salle El Mougar d'Alger accueille de nombreux chercheurs du continent et d'ailleurs sur une passionnante question. Dans le sillage du 2e Festival culturel panafricain, le CNRPAH (Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques) organise un très intéressant colloque les 21 et 22 novembre sur le thème « Les Mythes anciens à l'épreuve de la modernité dans les littératures africaines ». Toute la littérature du continent est en effet parcourue par ces mythes, généralement exprimés et transmis par la culture orale. On savait que lors des luttes pour les indépendances, les écrivains africains les avaient abondamment « mis en page ». Durant cette période, plusieurs démarches se superposaient ou se combinaient. Il s'agissait de réaliser un travail de conservation, sur la base du fameux adage de Hampaté Ba, selon lequel une bibliothèque brûlait avec le décès de chaque vieillard. Logés seulement dans les mémoires, les mythes étant menacés d'extinction et maints écrivains se sont attachés à les sauver. Le contexte colonial a poussé en outre plusieurs d'entre eux à rattacher leurs lecteurs aux sources de leurs cultures traditionnelles dans un besoin de distinction des cultures d'occupation. Aujourd'hui, l'évolution des sociétés africaines, l'adhésion à de nouveaux modes de vie et les effets de la mondialisation relancent la question de la conservation de ces mythes, menacés désormais par de nouvelles cultures exogènes portées notamment par les nouvelles technologies de communication. Mais d'un autre côté, on constate que de nombreux pans de ces mythes entrent de plus en plus en contradiction avec les aspirations des individus à échapper aux carcans et tabous de leurs sociétés. Le pouvoir des aînés, l'exploitation des femmes, le rejet de l'amour au profit des alliances matrimoniales arrangées et imposées rendent une partie de ces mythes repoussants, surtout pour les nouvelles générations. Les mythes se retrouvent ainsi à l'épreuve de la modernité. Le colloque comprend une communication particulière sur Kateb Yacine, « Ismaïl Abdoun : la mythologie du Nègre chez Kateb Yacine : entre imaginaire collectif et projection révolutionnaire », mais l'on peut supposer que l'ombre de son œuvre (Nedjma, Les Ancêtres redoublent de férocité…) s'étendra sur les interventions et débats. Il est en effet un des rares écrivains de sa génération à avoir combiné, en précurseur et pleinement africain, le besoin de conservation de ces mythes dans une approche anticoloniale et le besoin de leur remise en cause par rapport aux contradictions internes de la société colonisée. Keblout, incarnation de la tribu, exprime à la fois la mémoire opposée à l'acculturation coloniale et un ordre qui contraint la liberté des individus. Le gardien de Nedjma la protège symboliquement des agressions extérieures, mais la soustrait du même coup à ses prétendants compatriotes. L'intitulé des séances du colloque montre le souci de ses organisateurs et de sa commissaire, Naget Khadda, de balayer l'ensemble des dimensions du couple mythes/modernité. La première, intitulée « Préliminaires à une réflexion » et présidée par Justin Bisanswa, verra notre collaborateur, l'universitaire Benaouda Lebdaï, mettre à plat « l'importance des mythes dans les littératures africaines ». Les autres séances indiquent bien la démarche poursuivie : « L'Afrique dilatée », « Vertu et piège du retour aux sources », « Mythe et manipulations génériques », « De quelques mythes », « Les métamorphoses du mythe », « Perspectives et dépassement », (en deux séances qui clôtureront le colloque). Le colloque réunit un parterre d'excellence avec des universitaires spécialisés dans les aspects considérés. La recherche algérienne sera représentée, outre les précités par Amina Bekkat, Afifa Brerhi, M'hamed Bensemane, Malika Hadj Naceur, Fatima Zahra Salih, Dalila Mekki, Yamilé Guebalou Haraoui, Ismaïl Abdoun et Abdellah Hammouti. Pour ce qui a trait de la recherche africaine et européenne, on notera la présence de Julian Kilanga, Jacques Chevrier, Tanella Boni, Silcarneyni Gueye, Françoise Simasotchi, Elvire Maurouad, Andy Stafford, Jean Sevry, Marie-Christine Rochmann, Caya Makhele, Jeanne-Marie Clerc, Jacqueline Jondot, Salaka Sanou, Julian Kilanga, Hervé Sanson, Emmanuel Matateyou, Richard Samin et de Daniel Mengara. Espérons que l'isolation acoustique de la salle Mouggar résiste aux décibels de la qualification en Coupe du monde. Il est une communication que ne rejetteraient pas les joueurs de l'équipe nationale : « Les corps morcelés de Khartoum dans l'œuvre de Jamal Mahjoub », présentée par Jacqueline Jondot !