Chacun à sa manière, mais avec des points communs, Titien, Tintoret et Véronèse ont marqué leur siècle et influé sur l'évolution de la peinture classique Titien, Tintoret et Veronèse, trois peintres vénitiens de grande renommée qui, par leurs jeux d'influence, de rivalités et de concurrence ont joué un rôle important dans la création artistique lagunaire, contribuant ainsi au renouveau de la peinture dans la Cité des Doges au XVIe siècle. Leurs toiles, sombres, joyeuses, festives, élégantes, étincelantes et tragiques, représentant des scènes profanes, religieuses, bibliques et mythologiques, des nus féminins en grands et petits formats, sont exposées au musée du Louvre, dans le cadre de l'exposition montée en partenariat avec le Museum of Fine Arts de Boston et ce, jusqu'au 4 janvier 2010. A travers ce panorama des tableaux les plus représentatifs de la peinture vénitienne de la seconde moitié du XVI siècle, les organisateurs visent à « éclairer cette noble rivalité en comparant des peintures d'un même sujet ou de sujets équivalents afin de montrer combien les artistes se sont influencés ou, au contraire, ont divergé pour proposer une vision personnelle d'un thème ». Tiziano Vecellio, dit Titien (1490-1576), le plus âgé des trois peintres, est considéré comme l'un des plus grands portraitistes de l'époque. Il est également l'inventeur d'un nouveau type de peinture et de nouveaux sujets comme le nu féminin mythologique. Titien a peint pour les souverains européens, la bourgeoisie et l'aristocratie vénitiennes. Il est nommé peintre officiel de la Cité des Doges. Il est mort à l'âge de 90 ans. Tintoret et Véronèse sont beaucoup plus jeunes. Malgré leur différence de style et de caractère, ils partagent une caractéristique commune : les deux sont influencés par Titien. Pour sa part, Jacopo Robusti, dit Tintoret (1518-1594) est connu pour ses peintures aux couleurs sombres et à l'intonation dramatique, voire visionnaire. Il est généralement décrit comme un peintre qui vouait un amour excessif pour l'argent qu'il obtenait en exécutant des œuvres représentant des portraits, des scènes bibliques ou mythologiques commandées par des mécènes, des hospices, des confraternités (les Sculo), ces « institutions au gouvernement autonome ». Enfin, Paolo Caliari, dit Véronèse (1928-1588) était le protégé de Titien. A ses débuts, ses toiles qui peignent la richesse, le faste et la beauté de la Cité des Doges mettent en perspective une vision somptueuse, luxueuse, joyeuse célébrant le triomphe de Venise qui, vers la fin du siècle vivait une période de changement et de gloire financière, économique et militaire. Sur le plan religieux, c'était le temps de la contre-réforme, ce vaste mouvement de renouveau religieux en réaction à la réforme protestante qui s'était propagée dans l'Occident chrétien. Les vertus du reflet Organisée selon une logique chronologique et thématique, l'exposition propose un ensemble de quatre-vingt-six tableaux répartis à travers sept sections qui permettent de découvrir les modèles de représentation en vigueur chez ces trois peintres. La première section met en perspective des portraits de personnages de pouvoir, tels que les doges, les amiraux, les praticiens et les praticiennes de la société vénitienne. Ces tableaux qui revêtent un aspect essentiellement glorificateur se caractérisent par une retranscription fidèle des costumes et des postures. Ils nous donnent ainsi une idée de haut niveau des techniques de la description portraitiste de ces peintres. En sus, ils nous renseignent sur le statut social, politique et le degré de prestige de la personne représentée. Peint en biais, le portrait du pape Paul III Farnese, tête nue (1543) réalisé par Titien, suscite par exemple respect et allégeance. C'est par leur travail de reflet par le biais du miroir et du métal des armures sur l'eau que les trois peintres ont participé à la « paragone », c'est-à-dire « la discussion théorique sur la comparaison des arts ». Dans ses toiles, Titien se sert du reflet pour érotiser le corps féminin Vénus au miroir. Dans Suzanne et les vieillards, Tintoret a recours au reflet pour symboliser la convoitise chez les vieillards. Chez Véronèse, le reflet représente l'univers de la courtisanerie. Les toiles de la section « Le sacré et le profane » mettent en lumière une approche artistique où le religieux et le séculier sont traités dans un même tableau, estompant la frontière entre les deux dimensions. On peut ainsi voir dans une même toile des événements religieux et des scènes de la vie quotidienne : portraits, scènes religieuses, nature morte, animaux… Durant cette période d'ailleurs, la représentation picturale des animaux devient un élément quasi fréquent, inventant ainsi le genre animalier Les Pèlerins d'Emmaüs (Véronèse) ; La Dernière Cène (Tintoret) ; Enfant avec des chiens (Titien). Une section est consacrée aux tableaux dont les scènes sacrées sont représentées dans une ambiance crépusculaire et nocturne. Titien est le premier peintre à avoir utilisé des effets de nuit dans le but d'accentuer la tragédie des événements et d'intensifier la dramatisation des scènes à caractère religieux La mise au tombeau (Titien) ; Les Pèlerins d'Emmaüs (Véronèse) ; Saint-Jerôme pénitent (Tintoret). La représentation des collectionneurs et des artistes est une pratique qui s'est développée à Venise durant la période de l'âge d'or de la peinture vénitienne. Les personnages peints sont très représentés dans leur milieu familier, mettant en perspective leur fonction intellectuelle par le biais d'objets symbolisant le savoir : sculptures, vestiges de l'Antiquité, monnaies. Dans cette section, les tableaux le montrent bien Ottavio Strada (Tintoret) ; Jacopo Strada (Titien) ;Le Sculpteur Alessandro Vittoria (Véronèse). L'autoportrait, dans un but d'autocélébration, s'est également développé durant cette période et, Trintoret comme Titien, réalisent leurs autoportraits. Autre section, celle destinée aux petites peintures décoratives. A cette époque, la peinture en miniature était un style très apprécié à Venise. Ces tableaux de petites dimensions, à but exclusivement décoratif, sont généralement destinés à la décoration de meubles (coffres) et à ornementer les intérieurs des résidences privées. Ils sont très souvent exposés en forme de frises, le long des murs, et mettent également en perspective des images narratives représentant des scènes bibliques, mythologiques et antiques. Ils se caractérisent par la minutie de leur exécution et la richesse des détails, dans la tradition de la miniature. Mais la section qui caractérise peut-être le plus ces trois peintres et l'évolution de l'art à ce moment est celle consacrée au nu féminin. C'est, en effet, dans Venise du XVIe siècle que naît le nu féminin. La peinture érotique célébrant la nudité féminine offre au regard une représentation de la chair humaine et ainsi une vision réaliste du corps féminin. Les toiles, exposées dans cette section, mettent en scène des femmes dénudées, allongées, étendues, tantôt dans un environnement ouvert sur la nature, tantôt dans un espace fermé, à l'intérieur des palais. Elles évoquent deux thèmes. « La femme en péril », représenté à titre d'exemple par Le viol de Lucrèce par Tarquin (Titien) ; Suzanne exposée aux regards indiscrets des vieillards (Tintoret). Le second concerne celui de « la femme offerte » aux multiples regards : celui du peintre, des caractères représentés dans les toiles et des spectateurs et spectatrices. Les toiles les plus représentatives qui mettent en évidence l'exaltation de la chair et de la beauté féminine sont, à titre d'exemple, Danaë de Titien qui montre la princesse d'Argos recevant l'aurifère semence divine et L'Allégorie de l'Amour, dit le Respect, exécutée par Tintoret et interprétée comme un véritable hommage au corps féminin surpris dans l'intimité. Chaque peintre a tenté de représenter le nu féminin selon des caractéristiques particulières conférant à chaque artiste ses propre cachet et style. Ainsi, si Titien montre « le corps féminin dans des positions variées », Véronèse les transpose dans un style serein et mesuré alors que Tintoret leur confère un caractère énergique, souvent « empreint d'ironie ». Avec leurs regards différents et leurs rivalités, ces trois peintres ont contribué grandement à l'évolution de la peinture classique européenne. L'exposition a lieu à Paris, au musée du Louvre, dans le hall Napoléon, du 19 septembre 2009 au 04 janvier 2010.