C'est une opération de dilapidation de deniers publics, et non un projet portuaire», telle a été la réponse d'un pêcheur de Cap Djenet à une question de savoir ce qu'il pense du projet du nouveau port en cours de réalisation depuis 2006 dans la localité. Attablé devant la poissonnerie qui borde le rivage, notre interlocuteur n'a pas caché son désappointement face au retard enregistré pour la mise en service de cette infrastructure de pêche et de plaisance. «Si c'était nous (les pêcheurs, ndlr) qui l'avions lancée avec nos propres moyens, il y a longtemps que nous l'aurions déjà terminé», ironise-t-il. Sept ans de travaux pour un petit port d'une capacité de 100 embarcations et 10 chalutiers, et ce n'est pas encore fini… L'imprévision et l'incompétence des uns, conjuguée à la mauvaise gestion et la négligence des autres sont les leitmotivs qui reviennent et écoeurent les habitants de la région, avec les pertes incommensurables générées au trésor public. Le projet avait déjà englouti près de 300 milliards de centimes, alors que son coût initial était de 196 milliards de centimes. Le marché a été confié au groupement d'entreprises méditerranéennes des travaux maritimes (Méditram). Entamé le 17 mai 2006, le chantier a connu d'énormes blocages à cause de l'inadéquation des études faites par le laboratoire étatique des études maritimes (LEM), le seul qui active dans ce domaine à l'échelle nationale. Le problème d'ensablement des quais et des espaces de dragage est loin d'être résolu à ce jour malgré les expertises et les moyens colossaux dégagés à cet effet. Durement pénalisés par cet état de fait, les marins pêcheurs de la région crient au scandale. Certains indiquent avoir demandé une enquête à maintes reprises quant à la gestion du projet. En vain. Outre les frais des études, l'Etat avait dégagé, au début, 196 milliards de centimes pour sa réalisation, a-t-on appris auprès de la direction locale des travaux publics (DTP). La mise en service du port devait intervenir en février 2008. Ce qui n'a pas été le cas. Après un an de blocage, le ministère des Travaux publics, en sa qualité du maître de l'ouvrage, engagea d'autres études pour un coût de 20 millions dinars en vue de trouver une solution au phénomène d'ensablement. Et, contre toute attente, c'est le LEM qui se chargera de cette mission, même si d'aucuns savaient que ses premières études n'étaient guère concluantes. Paradoxe ! Est-il logique de confier une expertise à celui qui avait déjà prouvé ses limites dans le domaine ? La réponse est évidente, mais le maître de l'ouvrage a dérogé à la règle. «Nous les avions avertis à l'avance sur les risques d'ensablement, car nous connaissons très bien la mer», tempête Zoheir, un quadragénaire qui vit de son activité de la pêche. «On leur avait dit, dès le début, que le port doit être réalisé du côté Est de la ville, pas à l'endroit où il est aujourd'hui. Ils ne nous ont pas écoutés, et vous voyez le résultat…», poursuit notre interlocuteur. Selon lui, le port est situé entre l'oued Sebaou et l'oued Issers. Une donnée qui n'a, vraisemblablement, pas été prise en compte par le bureau d'études, d'où le problème d'ensablement qui persiste encore aujourd'hui. La chef du service des projets maritimes à la DTP, Mme Mecied, incombe ce retard aux mauvaises conditions climatiques, estimant qu'il n'est pas facile d'engager des travaux en mer. En février 2009, et pour stopper l'avancée du sable vers le port, (la mer y a rejeté 153.000 m3 depuis 2007), le Lem propose le prolongement de la jetée principale et la réalisation de deux «épées» dont l'une s'étire sur 280 m et l'autre sur 150 mètres. Le tout a nécessité une enveloppe supplémentaire d'un milliard de dinars. Mais les travaux n'ont été lancés qu'en octobre 2011, soit deux ans plus tard. Le délai, fixé à 20 mois, est dépassé depuis juin dernier. Actuellement, le taux d'avancement du projet avoisine les 70%. Les deux épées marines sont achevées. Reste le prolongement de la jetée, mais le budget dégagé jusque-là est déjà épuisé. Le maître de l'ouvrage aurait demandé une autre rallonge de 15 milliards de centimes. Et l'on ne sait toujours pas si elle sera, ou pas, la dernière.