Pour ces artisans, cette activité saisonnière est l'occasion rêvée pour réaliser des revenus conséquents au regard de la forte demande sur ce service, admettent-ils. Affairé à affûter un couteau dont le contact avec la pierre à aiguiser fait jaillir des gerbes d'étincelles, Abbas, ancien artisan de cette rue commerçante, affirme que c'est grâce à cette activité qu'il arrive à payer le mouton de l'Aïd et satisfaire les multiples besoins de la famille en cette période de fête. A ses pieds s'amoncelle une multitude de coutelas, canifs, poignards, hachettes et couteaux divers attendant de se faire affûter, tandis que d'autres clients font la queue, leurs outils tranchants à la main. Ce métier, localement appelé « reha » ou « medhaya », il l'a hérité de son père et le pratique lui-même dans cette même rue depuis déjà deux décennies. Jadis, cette longue artère concentrait les boutiques de nombreux maîtres artisans spécialisés dans la confection de gandouras, kachabias et burnous, le travail du bois et la ferronnerie, raconte cet homme sans se laisser distraire de sa besogne qu'il exécute avec application et un incontestable savoir-faire. Sa concentration ne baisse d'un cran qu'avec l'arrivée de nouveaux clients. L'odeur dégagée par le métal en train d'être aiguisé se confond, dans cette avenue bondée toute la journée ou presque, avec les effluves dégagées par les autres boutiques et commerces de parfums, de détergents, d'alimentation générale et des boucheries. Les espaces pour piétons y sont pratiquement squattés par une multitude de vendeurs de barbecues forgés à la va-vite et de charbon emballé dans des sacs en papier plus ou moins volumineux selon le poids. De jeunes gens pour la plupart, ces marchands s'égosillent pour attirer les clients dans une compétition qui confère à cette place les airs d'un immense bazar. Quant aux bouchers, ils ne chômeront pas le jour de l'Aïd, loin s'en faut. Egorger puis dépecer le mouton, c'est leur spécialité, et certains d'entre eux tiennent de véritables carnets de rendez-vous tant leurs services sont fortement sollicités durant la matinée de l'Aïd. D'autres encore se contentent de proposer leurs services le jour J en déambulant armés de leurs couteaux à travers les cités d'habitation. Les peaux de mouton sont par ailleurs données en forme d'aumône aux mosquées où les associations religieuses se chargent de les revendre à des opérateurs qui les cèdent à leur tour aux mégisseries de la région. Pour le président de l'association religieuse de la mosquée Khadija Oum El-Moûminine, ces dons sont un acte de charité d'autant plus que le temps où ces peaux étaient traitées à domicile pour servir de tapis est désormais révolu avec l'apparition des tapis industriels bon marché.