L'aéroport international Houari Boumediène, à Alger, a connu une effervescence particulière en cette soirée de mercredi à jeudi. Une foule importante attendait avec impatience dans le hall n°2 l'arrivée du vol d'Air Algérie en provenance du Caire, prévu pour 19h15, mais retardé jusqu'à 21h. A côté, une ambiance bon enfant régnait dans le hall n°1 où une vingtaine d'Egyptiens étaient en attente de départ. Ils semblaient sereins et en bonne santé. Personne parmi les dizaines de familles venues attendre leurs proches résidant en Egypte n'a tenté de les importuner. « Nous sommes des gens bien éduqués. Ils sont nos hôtes, nous ne leur ferons jamais de mal », déclare un sexagénaire qui attendait son fils, étudiant au Caire. « Il m'a appelé affolé. Il avait très peur et voulait rentrer rapidement. Je ne sais pas s'il est parmi les blessés. Il m'a juste dit qu'un groupe d'Egyptiens a investi les chambres des Algériens avant de les lyncher », dit-il. Il ne cesse de faire les cent pas avec le téléphone mobile accroché à son oreille. L'inquiétude se lit sur son visage, tout comme sur celui des nombreuses personnes qui attendent depuis des heures. 21h30, l'Airbus d'Air Algérie atterrit, à son bord plus de deux cents passagers, tous rentrés dans la précipitation. Les visages se crispent et la tension monte. Les premiers passagers arrivent, parmi eux, une femme avec un nouveau-né dans les bras. Elle éclate en sanglots à la vue d'un de ses proches. Elle a du mal à raconter ce qu'elle a enduré depuis le match de Khartoum. « Le vendredi, après le match, j'étais à la clinique. J'avais accouché la veille. Subitement, les médecins me parlaient avec haine à chaque fois qu'ils se rendaient compte de ma nationalité. J'avais très peur et je ne comprenais même pas pourquoi cette animosité à mon égard. J'étais obligée de quitter la clinique en dépit du fait que je ne me sentais pas encore rétablie. Ils ont voulu investir ma maison, heureusement qu'un des voisins m'a secourue. J'étais terrorisée… », raconte la passagère, la gorge nouée. Derrière elle, une autre, accompagnée de ses trois petites filles, éclate en sanglots elle aussi. Le regard de ses deux enfants est livide. L'angoisse se lit sur leur visage. « Ils ont tenté d'envahir ma maison et n'ayant pas réussi, ils ont brûlé tout le linge qu'ils ont trouvé dans mes balcons. Ils me menaçaient avec des couteaux et dès que j'ai eu l'occasion, j'ai pris mes trois filles et je suis sortie. Je suis restée 5 jours dans la ville à me cacher avant de rentrer au pays. Je ne veux plus retourner dans ce pays. Je vais inscrire mes filles ici pour qu'elles puissent poursuivre leur scolarité… », témoigne-t-elle. D'autres passagers, des femmes et des hommes, font état des mêmes récits : des menaces de mort, des insultes et des interdictions d'accès à certains lieux publics désormais interdits aux Algériens sont devenus le lot quotidien de nos ressortissants établis en Egypte et ce, quel que soit leur rang ou statut. Les plus touchés sont les étudiants, qui payent le plus lourd tribut. Blessés à coups de couteau, deux d'entre eux, arrivés sur des chaises roulantes, racontent le cauchemar qu'ils ont vécu. Mourad, étudiant à l'Institut des études arabes, porte un bandage autour de sa main. Il était dans sa chambre lorsqu'une trentaine de ses camarades égyptiens ont voulu l'immoler, suite à la qualification des Verts à Khartoum, en cette journée du 21 novembre. « Il était 3h30 du matin lorsqu'ils ont investi la chambre, armés de couteaux. Ils ont mis à sac ma chambre et voulu me mettre dehors. Je me suis battu avec eux et lorsque les gardes sont arrivés, ils ont pris la fuite. J'ai reçu des coups à la main ; une fois évacué à l'hôpital, les médecins ayant appris que je suis algérien, changeaient complètement leur comportement avec moi et me disaient : ‘‘Ttfalik !'' (Meurs !). » Même les points de suture, ils les ont mal faits… », déclare Mourad, qui précise que depuis une semaine, les Algériens vivent « une vraie terreur, un cauchemar ». Même au commissariat, ajoute-t-il, les officiers de police l'ont humilié. « En dépit de ma blessure et de mon traumatisme, ils m'ont laissé attendre des heures debout, me refusant même d'aller aux toilettes. J'étais considéré comme un délinquant, alors que j'étais une victime. Ils étaient comme heureux de me voir dans cet état… », souligne l'étudiant. Certains lieux publics sont interdits aux Algériens Les mêmes propos sont tenus par son camarade, lui aussi blessé à la jambe, alors qu'il se trouvait dans sa chambre d'étudiant. C'est en voulant se défendre contre une bande d'une trentaine d'assaillants qui faisait la chasse à l'Algérien qu'il a reçu deux coups de couteau. Il a perdu beaucoup de sang avant d'être transporté à l'hôpital, où les médecins lui ont fait subir le pire, tout simplement parce qu'il est algérien. « Jamais je n'ai été intéressé par le football. Je ne savais même pas qu'il y avait un match. J'entendais les étudiants parler de foot, mais à aucun moment je ne pensais que j'allais vivre autant de haine et subir autant d'humiliations. Une bonne partie des magasins ne vendent plus aux Algériens, et les cafés sont interdits à nos compatriotes. Nous n'avons plus le droit d'exhiber notre identité au risque d'être lynché par la foule. Aucun Algérien n'est à l'abri. Nous avons appris qu'un de nos camarades a été agressé mercredi matin à coups de couteau alors qu'il était à la rue des Pyramides au Caire. Nous avons informé l'ambassade qui a tenté de prendre attache avec lui, mais son téléphone était éteint. Nous ne savons toujours rien de son sort… », raconte l'étudiant. Tout comme Mourad, lui aussi jure de ne plus remettre les pieds au pays des Pharaons. Le traumatisme est, pour tous les passagers de cet Airbus d'Air Algérie, très lourd à supporter. Deux jeunes filles, à peine la trentaine, exerçant comme cadres dans des sociétés étrangères au Caire, font état de « l'horreur » qu'elles ont vécue, avant qu'elles ne décident de rentrer définitivement au pays. Elles ont échappé au « lynchage » parce qu'elles venaient de déménager de leur logement. « Dans le quartier où nous avons loué, les gens ne nous connaissent pas. Mais dans la rue, dès qu'ils nous reconnaissent, ils commencent à nous insulter et à nous menacer. Ils nous disaient : ‘‘Repartez chez vous''. Vous êtes des terroristes et des barbares, rentrez chez vous ! », dit l'une d'elles. Abondant dans le même sens, un couple accompagné de deux enfants, a également vécu « l'enfer ». Dans l'immeuble où il habitait, ce sont les voisins qui leur ont exigé de partir sous peine d'être brûlés dans la maison. « Nous ne nous sentions plus en sécurité. Il n'y a pas un seul Egyptien dans le quartier qui ne nous insultait pas. Nous étions l'ennemi public numéro un. Nous ne pouvions plus vivre dans ce climat de haine et d'insécurité », raconte le père, alors que la mère, tout en essuyant ses larmes, tente de rassurer ses sœurs, très inquiètes, venues l'attendre à l'aéroport. Selon elle, dans le quartier où elle habite, elle a entendu dire par une de ses voisines qu'une récompense d'à peu près 1200 DA était offerte à celui qui « dénicherait des Algériens ». « C'est affolant. Lorsqu'ils soupçonnent notre identité, ils commencent à nous harceler avec des questions pour repérer l'accent. Si par malheur quelqu'un est reconnu, c'est l'humiliation en public », précise la passagère. Deux autres jeunes interviennent dans la discussion et veulent, à leur tour, raconter leur « histoire ». Arrivés il y a à peine deux mois pour une formation, ils découvrent douloureusement,qu'ils ne sont pas les bienvenus au pays des pharaons. Ils remercient Dieu d'avoir échappé à « une mort certaine » en cette journée du lundi 23 novembre. « Nous étions au marché lorsqu'un groupe de Cairotes s'est dirigé vers nous en nous demandant de quelle nationalité nous étions. Les deux Palestiniens qui étaient avec nous ont répondu à notre place en nous présentant comme leurs compatriotes, qui ont vécu en Algérie. Ils ont eu du mal à les convaincre. Lorsque nous sommes rentrés le soir dans nos chambres, nous avons pris nos affaires et sommes partis avant le lever du jour. Nous avons su par la suite que plusieurs de nos camarades sont venus nous chercher le soir. S'ils nous avaient trouvés, ils nous auraient brûlés vivants. Heureusement que nous avions nos billets retour sur nous », déclare l'un des deux étudiants. Les témoignages se multiplient et se ressemblent tous. Frayeurs, angoisse, insécurité, terreur et danger sont des mots qui reviennent dans tous les récits. L'Egypte, pour eux, rappelle aujourd'hui une blessure encore béante. Peut-on croire que l'origine de cette blessure soit liée uniquement à un match de football ? Impossible vu la haine et les rancœurs ayant envahi les cœurs de ceux qui ont chassé avec tant de violence leurs hôtes…