Durant trois jours, du 22 au 25 février, Annaba a vécu au rythme des journées théâtrales. Elles ont été organisées par le Théâtre régional de Annaba en hommage à l'homme de culture dont il porte le nom : Azzedine Medjoubi assassiné par les terroristes le 13 février 1995 à Alger. Aujourd'hui, le rideau est tombé sur cette manifestation. Elle a vu des troupes théâtrales venues de Bordj Bou Arréridj, d'Oran et de Annaba. Trois jours durant, public populaire et public élitiste, riches et pauvres, jeunes et vieux, ouvriers et cadres s'étaient donné rendez-vous. Tous s'étaient interdits de parler de l'absence du maire lors de l'ouverture officielle de cette manifestation. Ils ne voulaient pas dire aussi que la commune ne s'est toujours pas employée à redonner sa fierté à leur ville assoupie sous la saleté de ses rues, places et lieux publics. Ils avaient fait semblant de ne pas avoir remarqué plusieurs autres absences de responsables sans prise avec la culture. Et c'est comme par bravade que cet imposant édifice inauguré au début des années 1940 a ouvert ses portes. C'était là une manière des participants à ces journées de défier les élus de l'autre bord du Cours de la révolution. Durant trois jours, le théâtre de Annaba avec ses quelque 1000 places a vécu au rythme des tirades de Mme Amina Medjoubi, Sonia, Marir, Benmarouf, Michiche, Boudiba, Kabouche pour écrire d'autres pages de sa légende. Dans les coursives qui ceignent ce train culturel, ont été accrochées des affiches et des coupures de journaux retraçant la vie et la mort de Azzedine Medjoubi. Elles représentaient un amas de mises en garde et de déclarations d'intention ou de principe. Durant trois jours donc la salle de spectacle et ses planches ainsi que le parvis attenant au Cours de la révolution ont résonné des répliques des comédiens et des murmures. Il n'y a pas eu de controverses sur les spectacles programmés. Puis, il y a eu le rendez-vous fixé par le jeudi culturel organisé par la direction de la culture. Celle-ci avait préparé une table ronde où Mme Medjoubi, l'épouse du défunt, et Sonia, toutes deux comédiennes, étaient les principales animatrices. Elles ont retracé les dernières années de la vie de Azzedine Medjoubi. Dans le grand salon du théâtre, les deux femmes avaient rétabli certaines vérités de la vie de cet homme avec sa prodigalité, sa passion du théâtre, son amour pour l'Algérie. L'espace d'un après-midi, Mme Medjoubi et Sonia jouèrent le rôle d'une tempête emportant tout ce qui n'était pas bien ancré et précis sur la vie. La première fut l'épouse et comédienne, l'autre sa fidèle amie des planches, la receveuse du voleur d'autobus. « Il voulait tout partager avec les jeunes y compris les cigarettes. La moindre occasion de repos qui se présentait à lui, il la destinait aux jeunes. Il aimait tellement être utile pour la jeunesse qu'il souhaitait être riche pour construire un théâtre dans chaque quartier. Quatre de ces jeunes l'ont assassiné. Avant d'expirer atteint d'une balle dans la nuque, Azzedine avait eu le temps de poser une dernière question : pourquoi ? », avait dit Mme Medjoubi de son défunt époux, ce fils d'avocat natif de Azzaba. Sans fard et dans un naturel qui en disait long sur le respect et la considération qu'elle voue à l'homme et l'artiste, Sonia a parlé de Azzedine Medjoubi. Elle a souligné son naturel à l'époque où l'artifice triomphait, son humanisme, son opiniâtreté à travailler pour le développement de la culture, sa maîtrise de la mime, du rôle d'acteur, de conférencier et animateur qui ont fait de lui ce comédien apprécié de tous. A travers ces différentes pièces théâtrales, Azzedine Medjoubi parlait du peuple qui a vécu l'échine courbée ne la redressant que pour pousser un cri d'orfraie contre les gens du pouvoir. « Nous les entendrons parler encore longtemps, puis arrivera le jour où leurs masques tomberont comme est tombé celui du parti unique. Il ne faut pas oublier qu'il est dans la logique de l'imposteur de se croire invulnérable et de commettre un jour l'erreur qui le révélera pour ce qu'il est », avait répondu un jour Azzedine Medjoubi à un journaliste l'ayant interrogé sur les faux talents. En fait, ce dixième anniversaire de la mort de Azzedine Medjoubi commémoré à Annaba a été l'occasion pour les deux femmes de parler du remuant comédien qu'il fut. L'on aurait pu, si le temps ne nous avait pas été compté, savoir comment il avait pu inoculer à plusieurs dizaines de jeunes le virus increvable du théâtre ? Aujourd'hui, chargée de superviser les mémoires de son défunt mari, Mme Medjoubi serait bien inspirée de les coucher noir sur blanc. C'est alors que bien des réputations de sérieux solidement établies dans le monde national de la culture s'effondreraient.