Conçu en forme de biographie, le livre évoque l'itinéraire d'un citoyen algérien lambda pour s'installer dans l'histoire de gens nés et grandis sous la grande histoire de ceux qui pensent qu'ils sont naturellement désignés pour confectionner l'histoire des peuples. Amar Boum'Bara c'est la ténue destinée d'un homme sans envergure mais c'est aussi et surtout la peinture en oblique d'une société qui se cherche dans la marche d'un temps à son tour incertain. Le temps des repères flous et des trahisons consommées comme on consomme une fatalité. Avec l'humour qui sied aux gens rodés aux propos grandiloquents sans résultat et surtout aux paroles non tenues, Youcef Merahi réfute les vérités acquises, le vernis langagier des spécialistes de la tournure et des maquilleurs pressés pour dire simplement les pérégrinations chahutées de son antihéros, l'antihéros que les petites gens savent reconnaître parce qu'il leur ressemble. Manifestement, l'écrivain a une profonde empathie pour Boum'Bara mais il ne fait pas pour autant dans l'embellissement de ce personnage central du récit. L'auteur témoin se suffit de faire le rapporteur des faits et gestes du jour. Des faits et gestes liés, pour partie, à la marche cahoteuse d'un pays qui semble avoir perdu pour longtemps la notion de fratrie de destin parce que la solidarité de jadis n'est plus à l'ordre du jour et parce que la fraternité recouvre d'autres sens dans la bouche de ceux qui ne pensent qu'à tirer profit du moment. Dans cette description où la dérision catapulte toutes les amertumes et chasse tous les jets d'éponge définitifs, le secrétaire général actuel du Haut Commissariat à l'Amazighité inscrit sa démarche littéraire et philosophique dans l'observation lucide de sa société. Une société pour laquelle il continue de vouer une sincère affection malgré tous les dérapages dûment constatés dans sa quête d'autonomie à l'endroit de tous les spoliateurs de l'espoir, les videurs de sens. Acquis à l'idée de tout dire et surtout de le dire de la manière la plus simple et la plus détachée, l'auteur de Du rêve à l'éphémère donne la main à un jeune homme né dans les années 1950 dans l'Algérie des basculements violents, des basculements fertiles en retournements. Il met ses deux mains sur les épaules de Boum'Bara, un enfant d'extraction modeste, peu sûr de lui, pas brillant à l'école, mal à l'aise dans son corps et dans le regard des autres, pour lui exprimer qu'il est lui aussi Boum'Bara. Il est son double, il fait un bout de chemin avec lui pour traverser ensemble les temps des bravades et des incertitudes liées au statut d'hommes sans statut, des hommes toujours présents dans les mauvais départs et pratiquement convaincus à figurer dans la liste des perdants. Ainsi Je brûlerai la mer est écrit dans le style direct, même s'il est irrigué d'une grande et palpable émotion. L'émotion que porte une génération qui a tant espéré, une génération qui ressemble à Boum'Bara, qui ressemble surtout à Merahi et à tous ces producteurs d'idées qu'on à mis de côté car en face le pays des ancêtres était considéré chez certains plus comme un butin à partager le plus vite possible qu'une identité à construire dans les défis du temps et les perversions de l'argent. Je brûlerai la mer est un roman qui puise dans le récit, le registre du jour, au jour le jour, pour tenter d'approcher l'histoire anodine des gens humbles comme Boum' Bara. Youcef Merahi en est l'architecte et, croyez-nous, il a du talent parce qu'il sait dire les choses simplement. Sans redondances inutiles. Les fioritures ça peut altérer le contenu ; l'authenticité diront d'autres.