« Vingt ans après la chute du Mur de Berlin et des idéologies, le monde est tragique », annonce Thierry Fabre, concepteur des Rencontres d'Averroès, dont la 16e édition à Marseille (Sud de la France), les 27 et 28 novembre, s'est penchée sur « Méditerranée : figures du tragique ». Chercheurs et experts ont dessiné les contours du « tragique », ses origines remontant à la Grèce antique, sa banalisation à l'ère de la global war, sa pertinence en tant qu'expression de nos contradictions, son actualité en tant que « joie-panique devant l'abondance de liberté » comme le souligne le dramaturge grec Vassili Papavassilou, invité des rencontres. Or, que reste-t-il de la tragédie grecque dans notre monde frappé par les pandémies économiques et sécuritaires ? Théologiquement, le tragique peut signifier la fin des perspectives de salut, comme le souligne Jean-Christophe Attias, spécialiste de la pensée juive médiévale. En Islam, explique l'Egyptien Adel Rifaât, auteur avec Bahgat El Nadi, d'un essai osé, Penser l'Islam (chez Grasset, Paris, 2009), le tragique pourrait se nicher dans la prédestinée de l'aiguillage vers le paradis ou l'enfer. Mais ces deux attentes ne sont-elles pas déjà en nous ? « L'homme, monstre incompréhensible, est capable du meilleur et du pire », selon Michel Guérin, agrégé de philosophie, paraphrasant Pascal. Antique notion grecque des textes des tragédies athéniennes : « l'homme terrible et prodigieux ». Le pire ? La tragique évolution des guerres de la fin du XXe et du XXIe siècle : la proximité qui tue. « L'homogénéisation du monde conduit à la radicalisation. Les modes de vie homogènes nous poussent à poser la question ‘‘qui est l'autre‘‘ ? Il faut prouver qu'on est différent en ouvrant à coup de machette le corps de cet autre. Après, on ne trouve pas cet autre, alors on recommence… », lance Stéphane Audoin-Rouzeau, un des plus grands spécialistes de la Première Guerre mondiale. Il évoquait ainsi le génocide rwandais, où des hommes ont massacré leurs voisins, leurs élèves, leurs proches. Ses paroles choquent l'assistance. « L'obscénité serait de ne pas regarder … Le mal est en nous », recadre-t-il. Le meilleur ? Refuser de désespérer, comme le souligne Michel Guérin. L'espérance face au pire. Face à nous-mêmes.