Après le grand cinéma du football que nous avons vécu en super-cinémascope, sur un écran de plus de deux millions de kilomètres carrés, en y ajoutant toutes les villes du monde où vivent nos compatriotes, laissons place au cinéma tout court, même quand il se décline en longs métrages. Le frère Mouloud Mimoun revient du tournage du film de Rachid Bouchouareb, Hors-la -loi (lire ci-contre), plein d'enthousiasme pour cette superproduction, émerveillé comme un enfant par la machinerie des décors, des techniques et des subterfuges de cet art-industrie qui est devenu au siècle dernier, le conte des temps modernes. Ce n'est donc pas lui qu'il faudra convaincre de la justesse des propos d'Ingmar Bergman, le grand réalisateur suédois, qui affirmait : « Aucun art ne traverse, comme le cinéma, directement notre conscience diurne pour toucher à nos sentiments, au fond de la chambre crépusculaire de notre âme. » C'est en tout cas dans cet art que se sont investis le plus la mémoire et l'imaginaire contemporains. On s'en souvient, Rachid Bouchouareb avait déjà fait du bruit avec Indigènes. Avec cette suite, il risque de faire du vacarme. Son film relate le parcours de trois frères qui, de la tragédie du 8 mai 1945, aboutissent en pleine bataille de Paris, celle que la Fédération de France du FLN mena avec une vélocité et une ingéniosité pour le moins extraordinaires. Indigènes remontait à 1939-1945. Hors-la-loi prend le relais en 1945. Et le dernier opus de cette trilogie, nous dit-il, évoluera dans les années 70-80, au paroxysme des attentats racistes qui agitèrent la France de cette époque. Mais déjà, avec cet Acte Deux, il s'approche vaillamment d'une zone de turbulences thématiques. En dépit des progrès accomplis dans la digestion de l'histoire récente, les remugles du colon continuent à exhaler leurs miasmes. Nous en avons, hélas, maints exemples récents. Aussi enthousiaste, le frère Mohamed Bensalah revient de Nantes où il a assisté au Festival des 3 continents, autre image d'une France ouverte aux expressions du monde, ne craignant pas les différences et l'originalité (lire p.21). Cette année, c'est l'Asie qui a raflé la mise, engrangeant plusieurs prix. Comme en écho, le frère Azzedine Mabrouki, globe-cinéma-trotter devant l'Eternel, nous relate son récent séjour dans l'incroyable Bollywood (p.22), cœur battant d'un pays qui produit 1000 films par an et où les personnes qui vivent du cinéma avoisinent en effectif la population algérienne ! Ces trois-là se sont donné le mot en matière d'enthousiasme cinématographique. Mais notre confrère et aussi frère Mohamed Benkali, comme pour nous ramener sur terre du moins la nôtre, vient nous raconter, de Témouchent, la morne désolation du pays profond, en manque de salles de cinéma et de lieux d'art, en soif ardente de culture (p.24). Il vient nous rappeler ainsi, avec la sagesse sans ambages du terroir, que si Bergman avait raison, « la chambre crépusculaire de notre âme » ne peut quand même pas s'éclairer sans les lumières d'un projecteur.