Annaba De notre envoyé spécial Les personnages féminins dans les pièces de Abdelkader Alloula sont courageux, fidèles, patients, peu instruits, se contentent du peu… «Malgré cela, ces personnages ont de la conscience politique, accompagnent leur époux dans leurs combats, portent une culture populaire, trouvent toujours le moyen de détourner les situations, usent de l'humour intelligent. Cette place donnée à la femme dans le théâtre de Alloula n'est pas le fruit du hasard. Pour lui, le théâtre est un moyen de faire bouger la société», a soutenu le dramaturge Mourad Senouci, lors d'un débat sur la place de la femme dans les pièces de Abdelkader Alloula, organisé lors du 3e Festival national du théâtre féminin de Annaba au théâtre régional Azzedine Medjoubi. Selon lui, Abdelkader Alloula a, dans tous ses travaux, insisté sur l'instruction et le savoir pour les femmes. Il a étayé son propos par la réplique de Ghecham époux de Badra dans Legoual : «Laissez-les terminer leur scolarité, ne les mariez pas trop tôt.» Le dramaturge rendait hommage aussi à la patience et à la générosité des Algériennes à travers le personnage de Badra. «Badra avait faim, s'était fatiguée, mais ne s'était jamais plaint», dit Ghecham à son fils Messaoud. Mourad Senouci a analysé les personnages des pièces Legoual, El Khobza, Litham et Lejouad. Dans Lejouad, Mama, employée dans un lycée, est généreuse. «Mama est courageuse aussi. Elle défend les causes de son mari», a-t-il noté. Il a évoqué aussi les personnages de Zahra, l'épouse de Djelloul Lefhaïmi, et de Chérifa, qui a accompagné son époux Berhoum dans ses malheurs, ne l'a jamais laissé seul. «Alloua a assumé ses choix. Des choix faits à partir de ses convictions idéologiques. Il militait pour une société juste, pour l'égalité entre homme et femme…Son combat quotidien était porté sur scène. Il était conséquent avec lui-même, faisait ce qu'il disait. Même les prénoms qu'il choisissait à ses personnages féminin avaient une signification : Aïcha, Badra, Zahra et Chérifa. Dans ses pièces, la femme était active, une héroïne autant que l'homme. La plupart de ses héros venaient des couches défavorisées. Le respect qu'il avait pour ses personnages, l'exprimait aussi pour ses comédiennes. Alloula a accompagné dans ses textes l'évolution historique et sociale de l'Algérie. Alloula est une méthode dans l'écriture et la mise en scène théâtrales», a relevé Mourad Senouci, qui dit être prêt à remettre aux jeunes chercheurs des documents originaux qu'il détient sur les travaux de Alloula. Daoudia Kheladi avait assisté Alloula dans la pièce Lejouad. «J'arrive au théâtre et je trouve une note de service de Abdelkader invitant tous ceux qui veulent apprendre l'assistance de mise en scène à le rejoindre. J'étais la seule femme à le faire. Je voulais justement apprendre à ses côtés. A la fin, j'ai presque tout appris. Abdelkader préparait bien ses textes, à la virgule près. Il ne négligeait rien, avait le souci du détail, préparait les fiches des décors, des sons et lumière. Même moi, j'ai appris à faire de la lumière et de la sonorisation ! Nous étions devenus de grands amis. Il était un homme gentil, respectueux, humain, serviable, travailleur. Il ne s'énervait jamais, était toujours le premier à arriver au théâtre. Il ne possédait même pas de voiture, utilisait celle de son frère (R4), achetée par facilité de paiement», a témoigné Daoudia Kheladi, qui avait été distribuée dans les pièces El Khobza et El Alleg. «Avant le filmage de la pièce El Khobza, j'étais tombée malade, je ne pouvais pas jouer. Alloula m'a fait remplacer. Une semaine après ma sortie d'hôpital, Alloula m'a rendu visite à la maison, m'a remis ma prime de la télévision en me disant : ‘Tu l'as mérité, c'est ton droit.' Alloula nettoyait même la scène du théâtre comme il avait fait avant la générale de Lejouad», a-t-elle révélé. Daoudia Kheladi a rappelé comment Alloula l'avait convaincue à sortir de son deuil après le décès de sa fille en l'emmenant au théâtre assister à la pièce Homq Salim. Elle a également évoqué le geste généreux de Alloula à l'égard de la femme de ménage du théâtre. «Il avait acheté une machine à coudre à la fille de cette femme. Plus tard, il avait soutenu financièrement cette fille pour son mariage. Il était un homme très généreux», a-t-elle confirmé. «Inadéquation avec l'idéologie du parti» La comédienne Nadia Talbi a rencontré Abdelkader Alloula au conservatoire d'Oran où elle apprenait la musique dans les années 1960. «Il m'avait dit : ‘Mademoiselle, avez-vous fait du théâtre ? Votre corps est fait pour le théâtre.' Je lui ai dit oui, car j'ai joué dans une pièce dans un couvent de bonnes sœurs. Il m'a dit qu'il avait besoin d'une jeune fille pour une nouvelle pièce. A l'époque, Alloula faisait du théâtre amateur. Le jour où Mustapha Kateb était venu faire la sélection, je me suis enfuie, partie où Ballet national où j'apprenais la danse. Alloula a fini par me retrouver et me proposer un rôle dans une belle pièce chinoise Monnaie d'or (1967). J'ai joué aux côtés de Benaïssa et de Tayane. J'étais la seule comédienne. Nous avons fait une grande tournée en Tunisie où nous avons été bien accueillis. Alloula était déjà plus connu à Tunis qu'en Algérie», s'est souvenu Nadia Talbi. Plus tard, Nadia Talbi sera distribuée dans la pièce Les bas fonds, de Alloula aux côtés de Sonia, Ahmed Benaïssa, Azzeddine Medjoubi, Mustapha Kasderli. «Alloula a été le premier directeur de l'Institut national de formation aux arts dramatiques (INADC). Il n'est pas resté longtemps. Il dérangeait beaucoup de monde. La télévision avait refusé de filmer les répétitions de la pièce Les bas fonds. Alloula n'a pas été gâté durant sa vie. Ahmed Taleb Ibrahimi l'avait licencié quelque temps seulement après sa nomination en tant que directeur général du théâtre national. Le motif invoqué : ‘Inadéquation avec l'idéologie du parti (le FLN). Plus tard, il avait été nommé au théâtre d'Oran, on connaît la suite», a témoigné Nadia Talbi. Elle a évoqué la reprise de la prise El Alleg (Les Sangsues) vers la fin 1969. «Alloula avait pris Hamid Remas comme assistant pour cette pièce. Hamid nous a contactés tous pour jouer dans cette pièce. Alloua était un homme respectable, aimait passionnément le théâtre et créait une grande ambiance lors des tournées. Il nous disait qu'il était heureux parce qu'il n'avait pas d'usine, ni de Mercedes, ni d'ennemis», a-t-elle affirmé. Mourad Senouci a rappelé que Alloula avait souffert de mépris. «Alloula a été chassé, humilié, avait trouvé des portes fermées à cause de son engagement politique. Beaucoup de personnes étaient contre lui à Oran. Nous étions jeunes et n'avions pas compris cette hostilité contre Alloula. Il a fallu du temps pour saisir que les différends étaient politiques et non artistiques», a-t-il souligné. Selon lui, Abdelkader Alloua avait plus fait mis en scène qu'écrire des textes. Abdelkader Alloula a mis en scène notamment les pièces El ghoula (1964), El soltan al hayer (1965), El Kobza (1970), Homk Salim (1972), Legoual (1980), Les bas fonds (1982), El Ajouad (1985), El Lithem (1989) et Arlequin valet de deux maîtres (1993, dernière pièce avant son assassinat en mars 1994). «Il avait décidé de monter la pièce Arlequin pour célébrer à sa manière Carlo Goldoni. A l'époque, le monde entier célébrait les 300 ans de la mort du dramaturge italien. Ce n'était pas un retour, comme soutenu ici et là, au théâtre classique», a précisé Mourad Senouci qui, à l'époque, traduisait à l'arabe toutes les notes de Alloula. Selon lui, Alloula estimait que la Comedia Dell'arte refusait l'illusion (Arlequin fait partie de ce genre théâtral). Et il faisait un parallèle avec El Halqa populaire. «Il disait que le public qui assistait à la prestation du Goual connaissait l'histoire à l'avance. Il venait donc pour admirer son jeu. Alloula a puisé dans le patrimoine local sans se fermer par rapport à l'universel. Alloua préparait une nouvelle pièce qui devait s'appeler El imlaq (le géant). Il n'a pas pu achever ce travail », a-t-il regretté. Connaître Gorki Sonia Mekiou a connu Alloula lors de la préparation de la pièce Les bas fonds au TNA. «Avec Alloula, j'ai appris toutes les techniques de base de la mise en scène, sur le théâtre, sur la société. Il était pédagogue. Pour lui, le comédien doit être chargé pour qu'il puisse donner. Il nous avait conduit à la Cinémathèque pour voir un film sur Gorki, nous a raconté l'histoire de l'Union soviétique, donné une biographie de Gorki. Il nous a donné tous les éléments autour de la pièce Les bas fonds», a-t-elle précisé. L'écrivain russe avait écrit la pièce Les bas fonds vers 1902 dans laquelle un homme à principes pénètre l'univers underground de la ville pour transmettre une idée d'espoir. La pièce a été adaptée au grand écran par le cinéaste japonais Akira Kurosawa en 1957 avec le même titre. «Au final, la pièce de Alloula était un travail magnifique. Au début, personne n'était content du rôle qui lui a été choisi. C'était notamment le cas pour Sid-Ali Kouiret et Dalila Hlilou. Cette expérience a été marquante pour moi. On devenait vite ami de Alloula de par sa gentillesse. La dernière fois que je l'ai vu, c'était en 1993 au théâtre de Skikda. Alloula était venu avec son équipe pour jouer Arlequin. J'étais avec Sidi-Ahmed Agoumi pour jouer avec Masrah al Qalâa, L'amour et après. Alloula était avec nous à l'entrée du théâtre. Un jeune voulait prendre une photo avec nous, mais nous a dit de l'accompagner chez un photographe. J'étais hésitante, Alloula m'a convaincue de me déplacer. Le photographe se trouvait à l'autre bout de la ville ! Je garde toujours cette photo avec un petit mot de Alloula», s'est souvenue Sonia Mekiou. Amina Medjoubi s'est rappelée de la venue de Alloula au théâtre régional d'Oran accompagné de Azzeddine Medjoubi, Ahmed Benaïssa et Fethi Osmane en 1973. «Il ne voulait pas être seul à Oran où il venait d'être nommé directeur. Alloula a demandé à Medjoubi de partir à Saïda aider une nouvelle troupe théâtrale. Le balcon de notre maison à Oran donnait sur les loges du théâtre. Je regardais donc les comédiens. Notre père nous empêchait d'aller au théâtre…», a-t-elle confié. Amina Medjoubi sera distribuée plus tard dans les pièces El Khobza et El banka. Amina Medjoubi a fait ses premiers pas au théâtre avec Boualem Hadjouti et Sirat Boumediène. «Mon père ne savait pas que je faisais du théâtre. Il fallait me déplacer à Tunis pour une tournée avec la pièce El khobza. Alloula a demandé à Wafia de se porter garant, car il fallait une autorisation paternelle pour sortir du territoire», a-t-elle rappelé évoquant l'écriture collective de la pièce Al meida, dédiée au milieu rural. Cette pièce avait été, pour la plupart du temps, jouée en plein air pour accompagner «La révolution agraire» de Boumediène.