Paris (France) De notre bureau Le président rwandais Paul Kagamé a allumé hier la «flamme du deuil» dans le stade de Kigali, capitale du pays. C'est dans cette enceinte sportive qu'ont débuté les commémorations du génocide rwandais survenu vingt ans auparavant. En effet, entre avril et juin 1994, soit en seulement trois mois, plus de 800 000 Tutsis (en majorité des paysans) ont été massacrés à coups de hache par les Hutus, une autre ethnie, considérée «noble», au pouvoir depuis 1962. La flamme restera allumée cent jours. Une période nécessaire pour continuer à faire le deuil et tenter de comprendre comment un tel forfait a pu arriver. Cent jours pour s'interroger sur le rôle joué par la Belgique, mais aussi et surtout par la France qui refuse toujours d'ouvrir les archives relatives à ce génocide, pourtant indispensable pour connaître le véritable rôle joué par son armée dans le cadre de l'opération Turquoise. Alors que les relations entre Paris et Kigali se réchauffaient timidement depuis l'arrivée de Sarkozy au pouvoir en 2007, ne voilà-t-il pas que tout l'édifice tombe par terre après les propos tenus par le président rwandais, samedi dernier. Ce dernier a de nouveau accusé la France d'avoir participé à «l'exécution du génocide» en 1994. Il l'a appelé à «examiner son rôle» dans ces massacres. Regarder la vérité en face Kagamé a fait, par ailleurs, remarquer que ce n'est pas en condamnant un génocidaire rwandais, Pascal Simbikangwa, à 25 ans de prison ferme que la France va se dédouaner de ces massacres. «Pourquoi d'ailleurs la France a mis vingt ans pour juger un tel responsable ?», s'est interrogé Kagamé, qui a ajouté : «Ce n'est pas moi qui ai accusé la France. Ce sont les faits historiques qui montrent son implication dans notre pays.» L'autre charge est venue de Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des Affaires étrangères. Sans détour, elle a invité Paris à regarder la vérité en face concernant son rôle dans le génocide de 1994. «Pour que nos deux pays commencent réellement à s'entendre, nous allons devoir regarder la vérité en face. La vérité est difficile. Il est compréhensible qu'il soit très dur d'accepter d'être proche de quelqu'un associé au génocide», a-t-elle soutenu, avant de poursuivre : «Il est impossible pour nos deux pays d'avancer si la condition est que le Rwanda doive oublier son histoire pour s'entendre avec la France. Nous ne pouvons avancer au détriment de la vérité historique du génocide.» Comme pour la guerre d'Algérie, Louise Mushikiwabo s'est étonnée de ne pas voir le génocide rwandais de 1994 figurer dans les manuels d'histoire des écoles françaises. Piquée là où ça fait mal, la France a vite réagi, samedi soir, aux accusations de Kigali. Alors que le Quai d'Orsay souhaitait faire de ces commémorations un moment privilégié et de réconciliation entre la France et le Rwanda, il s'est retrouvé une fois de plus confronté au miroir de la vérité historique. «Défendre l'honneur de la France» Samedi soir, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Romain Nadal, a annoncé que la représentante de la France, Mme Taubira, ministre de la Justice, ne participera finalement pas aux cérémonies commémoratives. Puis toute la classe politique, à l'unisson, a demandé à François Hollande de «défendre l'honneur» de la France face aux accusations de Kigali. A commencer par l'ancien ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, qui a estimé dans un blog que les accusations du Rwanda à l'égard de la France sont «infondées et inacceptables». Juppé a écrit : «Il est rigoureusement faux de penser que la France ait aidé de quelque manière les auteurs du génocide à préparer leur forfait. Bien au contraire, avant mars 1993, notre pays a tout fait pour pousser à la réconciliation des deux camps (Hutus et Tutsis).» Idem pour l'ancien Premier ministre, Edouard Balladur, qui dit ne pas comprendre les accusations de Kigali. «La France est le seul pays à avoir pris l'initiative pour sauver des vies au Rwanda», a-t-il estimé, dénonçant au passage «les accusations rwandaises et la mauvaise foi de ses dirigeants». Se disant favorable à la levée du secret-défense qui entoure ce génocide, M. Balladur a rendu hommage à l'armée française pour son rôle dans le cadre de l'opération Turquoise. Pourtant, la version de Patrick Saint Exupéry, ancien journaliste au Figaro, qui était à l'époque sur place, contredit les déclarations des hommes politiques français. Dans son livre L'Inavouable, la France au Rwanda, le neveu de l'auteur du Petit Prince a écrit : «Des soldats de notre pays ont formé, sur ordre, les tueurs du troisième génocide du XXe siècle. Nous leur avons donné des armes, une doctrine, un blanc-seing.» Pour cet ancien journaliste du Figaro, il n'y a pas de doute : la France, ou du moins certains services parallèles ont participé, d'une façon ou d'une autre, aux massacres des Tutsis. Ce que nie la France officielle.