Le peuple rwandais commémore à partir d'aujourd'hui et pour 100 jours les terribles massacres de 1994 Les commémorations du génocide de 1994, qui débutent aujourd'hui, sont d'ores et déjà entachées par un regain de tension avec la France que le président Paul Kagame a de nouveau accusée d'avoir pris part aux massacres. «Pour que nos deux pays commencent réellement à s'entendre, nous allons devoir regarder la vérité en face», a réagi hier la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo, estimant «injustifiée» la décision de la France d'annuler sa participation aux commémorations du 20e anniversaire du génocide. Paris a pris cette décision après une interview de Paul Kagame parue hier, dans laquelle il accuse la France d'avoir joué, de même que l'ex-puissance coloniale belge, un «rôle direct dans la préparation du génocide» et d'avoir participé «à son exécution même». Le retrait français marque un nouveau coup d'arrêt à la normalisation des relations entre les deux pays qui, malgré une réconciliation officielle en 2010, restent empoisonnées par le soupçon sur le rôle exact dans le génocide de la France, alliée à l'époque du régime extrémiste hutu à l'origine des massacres. «Il est impossible pour nos deux pays d'avancer (...) au détriment de la vérité historique du génocide», a souligné Mme Mushikiwabo. Les commémorations, placées sous le thème «Souvenir, unité, renouveau», s'étendront sur 100 jours, en écho à la centaine de jours qui ont suffi entre avril et juillet 1994 pour exterminer 800.000 personnes, essentiellement issues de la minorité tutsi. Mais ces nouvelles tensions avec la France et les enjeux diplomatiques plus larges de cet anniversaire pour Kigali, récemment cible de sévères et inédites critiques internationales, pourrait bien éclipser le «souvenir» des victimes. Tout en niant les accusations de M. Kagame, la Belgique a elle maintenu sa participation. «Ce que nous allons faire au Rwanda, c'est commémorer un génocide, c'est-à-dire rappeler la mémoire des victimes, de leurs familles», a souligné hier son ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, «c'est ça le sens de notre démarche. Nous n'allons pas rendre hommage à un gouvernement rwandais actuel». M.Reynders sera notamment accompagné à Kigali des familles des 22 victimes belges des massacres, dont dix parachutistes tués aux premières heures du génocide le 7 avril 1994, en même temps que le Premier ministre rwandais d'alors, Agathe Uwilingiyimana, qu'ils étaient chargés de protéger. Le Rwanda a longtemps bénéficié dans ses relations diplomatiques du sentiment de culpabilité de la communauté internationale, restée inerte face aux massacres. Mais Kigali a récemment été accusé, jusque par ses plus proches alliés, Washington en tête de déstabiliser l'est de la République démocratique du Congo (RDC) et d'être impliqué dans les meurtres ou tentatives de meurtre de dissidents rwandais réfugiés en Afrique du Sud. Ont également été pointés du doigt des insuffisances en matière de démocratie et dans son interview, M.Kagame a dénoncé sans autre précision les «puissances occidentales qui, aujourd'hui définissent seules les règles de la bonne gouvernance et les normes de la démocratie» après avoir joué un «rôle clé, dans les racines historiques mais aussi dans le déroulement du génocide». Aujourd'hui, le président rwandais allumera une flamme au mémorial de Gisozi à Kigali, avec une torche qui a fait le tour du Rwanda au cours des trois derniers mois. Après une «marche du souvenir», il prononcera un discours dans le plus grand stade de la capitale. L'ONU, incapable en 1994 d'empêcher les massacres malgré 2.500 Casques-bleus sur place, sera représentée par son secrétaire général Ban Ki-moon. Washington a de son côté envoyé sa représentante à l'ONU, Samantha Power. «L'échelle de brutalité au Rwanda continue de choquer: une moyenne de 10.000 morts par jour, chaque jour durant trois mois», a rappelé M. Ban hier, soulignant que l'impact des massacres continuait de se faire sentir «dans la région des Grands Lacs et dans la conscience collective de la communauté internationale». Mais celle-ci «ne peut pas se dire concernée par les atrocités puis se dérober quand ressources et détermination sont nécessaires», a-t-il poursuivi.