Ni la contestation grandissante ni les appels à la raison des divers acteurs politiques n'ont réussi à refréner la cour du candidat absent dans son aventure suicidaire. Le pouvoir ou le chaos semble être leur leitmotiv. Ce qui pourrait advenir du pays après le 17 avril n'effleure guère leur esprit. L'irréparable approche à grands pas. L'assassinat du jeune Akram en est un prélude inquiétant. «Elli yazraâ errih…» En usant à volonté de l'insulte, en abusant ostentatoirement des moyens de l'Etat et en recourant aux pires procédés de censure, de propagande et de corruption, les promoteurs du 4e mandat installent une atmosphère d'adversité sans précédent. Faut-il alors s'étonner du caractère parfois extrême de la réaction citoyenne ? A qui profiterait ce climat insurrectionnel ? Certainement pas à la démocratie et encore moins au peuple algérien.La provocation était déjà dans la candidature par procuration, puis dans la campagne sans candidat et enfin dans le discours conquérant. Que cache cette triple bizarrerie ? S'agit-il uniquement d'accéder au caprice d'un homme qu'on aurait peut-être cédé. C'eut été véritablement un mandat de transition, on aurait applaudi. Il n'en est rien. La preuve est magistralement donnée par l'identité et les desseins affichés de ceux qui s'échinent avec haine, arrogance et autres subterfuges à imposer au pays une telle épreuve. Loin de s'inscrire dans la consolidation d'une supposée stabilité ou d'un approfondissement d'une illusoire démocratie, le 4e mandat vise à préserver les biens et les statuts mal acquis et continuer à faire de l'Algérie le paradis des malfrats. C'est le parachèvement de la mainmise sur le pays, œuvre entreprise depuis déjà très longtemps. Le syndrôme de «Dey Hussein» Mon analyse de l'évolution du système autoritaire depuis 1999 m'a conduit à abandonner le factionnalisme comme grille de lecture des conflits actuels. Cette explication est, à mon sens, inapte à rendre compte de la complexité et de la gravité de la situation. Nous ne sommes pas dans une lutte des clans, mais bien en présence d'une caste en guerre contre le pays. En effet, pour la première fois dans l'histoire du pays, le système se présente sous une configuration atypique. Au sommet, l'émergence d'un sous-système dans le système et en concurrence avec celui-ci. Par le bas, l'apparition d'une contre-société faite d'un conglomérat de clientèles innervant l'ensemble du tissu social. Ce dualisme pose deux problèmes épineux et indépassables. D'une part, il institue la guerre permanente à l'intérieur du système et une forte conflictualité dans la société. De l'autre, il offre aux blocs mondialistes et puissances étrangères une grande possibilité de satellisation du pays.Les chances d'un redécollage économique s'amenuisent avec le développement fulgurant de la grande corruption, mal nécessaire à l'entretien de la contre-société. Si les prévisions des experts sont justes, et rien n'autorise à en douter, le pays va droit à la faillite. Les auteurs de la catastrophe ont certainement préparé leur retraite, à l'exemple d'un Chakib Khelil éclaireur en la matière. Dilemme du hérisson ? Participer et cautionner une possible mascarade ou alors boycotter et aider à la reconduction du statu quo. Véritable dilemme. Mais juste en apparence. En effet, la fraude persistera aussi longtemps que les forces politiques et les citoyens accepteront de la subir sans résistance. La lutte contre la fraude est un aspect constitutif du combat démocratique. Sauf à vouloir s'inscrire dans une vision fragmentée de la démocratie. Il est donc temps de se mobiliser pour mettre fin à ce viol de la citoyenneté et rétablir le principe de la souveraineté populaire. Il ne se donnera pas sur un plateau d'argent. Il va falloir l'arracher de haute lutte. Le président-candidat ne vient-il pas de décréter, et devant un interlocuteur étranger, que la dénonciation de la fraude était un acte terroriste ? Cela se passe de tout commentaire. Ma démarche est claire et n'est pas de circonstance. Depuis une année, je ne cesse de soutenir l'idée selon laquelle cette élection pourrait constituer un moment fondateur d'un nouvel ordre politique et social. Articuler la dynamique électorale à la dynamique pour la construction de l'alternative démocratique est de nature à sortir notre pays de la crise sans aucune violence. C'est ma profonde conviction. Si je me fais violence en adoptant cette position extrêmement délicate, c'est seulement par souci d'éviter l'autre violence, celle qui mène droit au chaos. N'en déplaise aux nouveaux commissaires de le bien-pensance. Il est vain d'appeler à un processus pacifique, négocié et graduel, si un sens concret n'est pas mis derrière cette énonciation. Les expériences de transition réussies de par le monde ont toutes pour origine un événement déclencheur singulier : la disparition de Franco en Espagne, le coup d'Etat militaire au Portugal, la mort du jeune Bouazizi en Tunisie, la défaite de Pinochet lors du référendum de 1988 au Chili, la crise chypriote de l'été 1974 en Grèce, l'élection présidentielle de 2000 au Mexique, etc. Rejeter systématiquement toute opportunité qui se présente, c'est assurer à l'autoritarisme une longévité inespérée. Concilier les deux éthiques — responsabilité et conviction — consiste aujourd'hui à se saisir du possible pour rendre possible le souhaitable. Invoquer quelque idéal global pour s'affranchir de l'impératif devoir patriotique relève du délit de complicité. Les conditions sont aujourd'hui réunies pour aller vers le changement dans le calme. Encore faut-il vouloir y aller. La sagesse et le bon sens inclinent à explorer prioritairement la voie électorale. Elle est la moins douloureuse et offre l'avantage de mettre les décideurs face à leurs responsabilités. En cas de coup de force, scénario probable, les citoyennes et les citoyens seront alors dans leur droit de rejeter la mascarade et d'exiger la mise en œuvre immédiate d'une période de transition.Boycotter ou voter sont deux libertés du citoyen. Les opposer, c'est s'exposer à la désunion. Les concilier, c'est aller à la communion. La volonté de changement ne saurait s'exprimer dans une unique modalité. Les deux expressions partagent le même espoir, le même idéal. La suppression de la hogra, de la corruption, le passage progressif de l'Etat semi-légal à l'État de droit lèveront les obstacles à un redécollage du pays d'où naîtra un Algérien nouveau, intégré et conscient de sa responsabilité envers le pays et envers ses semblables. La ruse arithmétique A en croire certaines rumeurs, le dernier artifice concocté pour faire avaler en douceur le 4e mandat serait d'attribuer au candidat absent une majorité relativement modeste. Selon les concepteurs de cette ruse — un partage équitable de l'humiliation — ferait taire toute velléité de contestation. Ils sont dans l'erreur car le problème n'est pas d'ordre quantitatif mais qualitatif. En d'autres termes, il est politique et non arithmétique. En effet, la faiblesse du score ne supprime pas les conséquences désastreuses d'une reconduction. Attention, attention, mille fois attention. La conspiration des ventres Un certain «opportunisme» à facettes multiples voit dans le 4e mandat une aubaine pour un meilleur repositionnement. Un président mal élu et de surcroît malade est, à leurs yeux, un interlocuteur facile et plus enclin à la concession. Sacrifier l'intérêt du pays sur l'autel d'appétits de groupes ou d'individus est une erreur impardonnable. L'irrésistible attrait du privilège immédiat et étroit n'est pas de bon conseil. La réussite par effraction est souvent l'antichambre de la ruine. Si par malheur, le candidat absent est reconduit, les derniers atouts du pays partiront en fumée dans les méandres de la corruption et du clientélisme. L'Algérie se trouvera très vite confrontée à des difficultés insurmontables aux conséquences amplement plus graves en comparaison des drames passés. Qui sont-ils pour faire subir à l'Algérie un tel affront ? Faut-il continuer à laisser faire ? «Delwadjeb assirem adyili» La gravité de la situation doit suggérer le déploiement de tous les efforts et l'examen de toutes les voies possibles à même d'éloigner le pays d'un péril réel. La mobilisation est le seul garant pour une issue heureuse. Aussi, j'exhorte les citoyennes et les citoyens à aller voter massivement le 17 avril et à se préparer pacifiquement à l'éventualité d'un attentat à la souveraineté. La vigilance doit être maximale car c'est dans la confusion que les aventuriers prospèrent. Il faut isoler les tenants de la violence qui ne manqueront pas de tenter de pervertir la dynamique populaire pour le changement. L'histoire, la vraie, est une succession de tâtonnements. On échoue souvent, on réussit parfois mais on avance toujours. Une seule question doit obséder nos esprits : quelle Algérie voulons-nous pour nos enfants ? Mon appel ne concerne nullement les suceurs des richesses nationales et les oppresseurs de l'expression. Leur choix est déjà fait. Il s'adresse aux pauvres, aux travailleurs, aux classes moyennes, aux femmes, aux enseignants, aux étudiants, aux entrepreneurs honnêtes, aux journalistes libres, aux élites sincères…bref à tous ceux dont la promotion est tributaire de la prospérité collective. Car ce sont eux, les soldats de la patrie et les vrais bâtisseurs de la République.