Sidi Bel Abbès De notre envoyé spécial Saouaid (Ascension), la nouvelle pièce de Abdelkader Djeriou, produite par le Théâtre régional de Mascara, suscite la polémique. A peine présentée à Alger et Mascara, la pièce, mise en scène à partir d'un texte de Haroun Kilani, provoque des vagues en raison de la thématique. Abdelkader Djeriou, appuyé par Hocine Mokhtar, a choisi de traîter avec courage un sujet toujours tabou, la prostitution, l'amour charnel, le regard sexuel qu'ont les hommes sur les femmes, les désirs enfouis de la femme. La pièce, scénographiée par Hamza Djaballah et présentée samedi soir en hors compétition au 8e Festival culturel du théâtre de Sidi Bel Abbès, se déroule dans une chambre à coucher. Le lit en forme circulaire symbolise la force du désir et l'horloge suspendue évoque le poids du temps qui passe. Fadwa (Amina Belabed) est une femme à l'âme meurtrie, attachée à trois hommes, Jaber (Abdelkader Djeriou), Aber (Boubekeur Ben Aïssa) et le muet (Abdelilah Merbouh). Jaber est un macho qui malmène Fadwa, tente de lui montrer sa virilité par la force, mais pas plus. Jaber cache une cassure interne, une douleur ancienne. Aber est émotionnel, fragile mais riche. Il jette les billets de banque comme des bouts de papier sans valeur, ne sait pas s'il doit croire à l'amour ou pas. Et le muet, traité comme une bête par Fadwa, exprime ses sentiments par des contorsions et des gestuelles érotiques. «Homme sans langue !», crie Fadwa à l'adresse du muet qui pourtant est son préféré pour d'évidentes raisons de plaisir. Fadwa joue avec les sentiments, se moque, prend sa revanche, donne l'impression d'être soumise, se révolte, manipule… Elle semble parfois perdue, livrée à ses tourments et à ses envies, ligotée par la peur de l'autre, encerclée par des hommes tout aussi partagés, confus. Et pourtant, Saouaid (Ascension) n'est pas une pièce féministe, pas de plaidoyer sentimentalo-lacrymal sur «la situation» de la femme. C'est une représentation qui aborde de front plusieurs sujets mis de côté par la «bien-pensance», le système moral parfait, «la société idéale». La soumission sexuelle de la femme, l'impuissance (Jaber le macho semble en souffrir), la violence normalisée, l'enchaînement par le sexe, la liberté sentimentale, les exils interieurs, l'avortement y sont évoqués d'une manière ou d'une autre… Haroun Kilani a écrit un texte proche du mysticisme, les hommes ne seraient que des esprits vagabonds ou des ombres. Abdelkader Djeriou a ramené le texte sur «terre, donné une forme plus humaine à ses personnages». La légèreté de l'être humain transparait clairement de Fadwa et de son trio d'amoureux tourmentés. Du théâtre psychologique ? Possible. Le spectacle, situé entre réalisme et jeu naturel, est osé malgré la petite surcharge symbolique. Et c'est tant mieux puisque cela rafraîchit quelque peu la scène algérienne. La voix de Cheikha Djenia au début du spectacle a souligné le souci du metteur en scène de puiser dans le patrimoine souvent méprisé de la musique algérienne. Abdelkader Djeriou est un grand défenseur de la culture raï. «J'ai refait quelque peu la dramaturgie du texte, car je voulais aller dans la profondeur des choses. Kilani travaille sur le monde suréel. Je parle de ma société, je fais le théâtre pour les Algériens. Je ne peux pas faire un autre théâtre. Le public s'identifie aux personnages des feuilletons mexicains ou turcs qu'il voit à la télévision. Il ne s'identifie pas aux personnages de notre théâtre, notre cinéma ou nos feuilletons. Ce n'est pas normal», a souligné Abdelkader Djeriou. Il se dit peiné par la critique virulente faite par certains artistes après la générale de la pièce. Des artistes qui ont trouvé la représentation vulgaire. Je veux seulement savoir qui sont ces gens qui parlent au nom du public… Certains pensent qu'il ne faut pas présenter ce genre de pièce dans les villes de l'intérieur du pays. C'est une vision archaïque. Le public est le même, pas de différence entre grandes et petites villes. Les gens ont partout accès à internet, à la télévision et au téléphone portable. D'autres estiment que nous ne devions pas utiliser le mot aahira (prostituée) ou permettre la transformation d'un homme en femme sur scène. On peut ne pas aimer un spectacle mais qu'on fasse la critique sur une base valable.