Elle était agréable cette après-midi du samedi à la Madrague en compagnie de quelques amis (es), autour d'une belle table, et de plus il faisait beau et les femmes plus belles que jamais. Ces moments de rêve ont été marqués par l'animation de l'ami artiste qui était plein de verve et en pleine forme. Il nous raconta de nombreuses histoires et nous a dit beaucoup de souvenirs qui l'ont bien marqué. Tout d'abord son arrivée à Alger en 1964, 18 ans à peine, en provenance de sa ville natale, Constantine, pour passer le concours d'entrée au premier et éphémère Institut du cinéma, autre belle création d'Ahmed Hocine après la Cinémathèque, un concours où il fut admis, bien sûr. Notre ami l'artiste, que nous appellerons ici K. S., nous raconta avec force détails comment les étudiants de cet institut défoncèrent les portes de trois immeubles flambant neufs des Asphodèles à Ben Aknoun en présence de B. B., premier Président imposé de notre pays par des militaires assoiffés de pouvoir qui arrivaient de l'Ouest. C'est ainsi que les trois immeubles abritèrent le Centre national du cinéma (CNC) pour le premier, les travailleurs de cet organisme pour le deuxième et l'Institut du cinéma, salles de cours et internat, pour le troisième. C'est certainement cette action et la fameuse campagne de reboisement dans les monts de Larbatache, en présence du Che, qui apportèrent quelque popularité à B. B. C'est certainement à cause de cette action aussi et par reconnaissance que les étudiants de l'Institut lui manifestèrent un peu de solidarité le 19 juin 1965, en chantant et en riant, et tout en scandant «Yahia B. B.» dans le bus qui les transportait vers la Cinémathèque pour une projection, bus vite stoppé par un char et quatre individus aux lunettes noires dans une 403 noire qui demandèrent au chauffeur de les suivre, et c'est ainsi que nos futurs cinéastes se retrouvèrent 10 minutes plus tard à la caserne Ali Khodja, où ils furent brutalement interrogés et réprimandés. Le plus grave arriva lorsque quelques semaines plus tard, les nouvelles autorités décidèrent de mettre fin à l'Institut, et c'est ainsi que notre ami K. S., élève comédien, se retrouva au sein de l'Institut d'art dramatique de Berlin Est, avec son compère Allaoua. Il était tout de même triste de quitter un autre compère, Keere, le famélique et émouvant berger qui termine à l'Est auprès de la criminelle ligne Morice la mission de la patrouille de Amar Laskri dont tous les membres ont été décimés par l'armée coloniale. Par la suite, il nous raconta, avec beaucoup d'humour, sa rencontre à la limite burlesque avec notre ambassadeur à Prague, le fameux et sympathique Mohand Cherif Sahli, rencontre qu'il n'oubliera jamais, car formatrice. S. K., qui avait quitté Berlin Est la veille pour rejoindre Prague après toute une nuit d'un voyage bien fatigant en classe économique. C'est en effet auprès de cette ambassade qu'il devait renouveler son passeport périmé, passeport dont la validité n'était que de 3 ans à l'époque. S. K. était tout content de se présenter le premier au guichet, son dossier composé de 10 documents à la main. Lorsque quelques minutes plus tard le fonctionnaire lui rendit son dossier prétextant qu'il manquait un document, il faillit s'effondrer, triste et découragé. Notre jeune artiste essaya de se défendre en expliquant qu'il venait de Berlin Est, qu'il avait un besoin urgent de son passeport, mais n'obtenant aucun résultat, il quitta les lieux totalement abattu pour s'étaler sur un banc dans les jardins de l'ambassade. Quelques minutes plus tard, alors qu'il n'avait pas encore repris ses esprits et ses forces, un monsieur au visage paisible et tranquille habillé d'un «bleu», veste que portent de nombreux hommes simples et modestes de chez nous, se présenta à lui pour lui demander s'il avait besoin d'une aide. S. K., toujours fatigué, ne répondit point dans un premier temps, mais comme l'homme insistait la voix toujours calme, S. K. bredouilla quelques mots : «Laisse-moi tranquille, je suis fatigué, je n'ai pas envie de parler et de plus je ne sais pas quoi faire.» Notre pauvre ami totalement perdu pensait tout bêtement qu'il avait en face de lui le jardinier de l'ambassade. C'est alors que l'homme en bleu lui rétorqua à l'aide de mots prononcés distinctement et lentement : «Ne t'inquiète pas, dis-moi ce qu'il te faut, je suis l'ambassadeur d'Algérie.» En entendant ces mots, S. K. se leva brusquement, embrassa l'homme et lui raconta tout, et c'est alors qu'il se rendit compte que tous deux portaient la même veste. L'homme, toujours bienveillant le tranquillisa en lui affirmant : «Je vais t'aider et tout régler, car je suis ton ambassadeur, l'ambassadeur du peuple algérien et cette maison est à toi.» Mohand Cherif Sahli, cet authentique enfant de la vallée de la Soummam, grand diplomate déjà pendant la guerre de libération et aussi grand historien, marquera encore plus notre jeune artiste, en lui racontant une superbe petite histoire : «C'est juste avant le déclenchement du 1er Novembre, alors qu'il faisait chaud à Alger, je me reposais à l'ombre d'un arbre, mon couffin à mes pieds, lorsqu' une ‘‘Gauloise'', prétentieuse et arrogante, m'interpella d'une voix désagréable, digne de celle d'un sous-brigadier : ‘‘Qu'est-ce que tu vends toi ?'' Et je lui répondis le plus calmement du monde, de la politesse madame''.» Et c'est depuis que K. S., auteur polyvalent aujourd'hui, poète, comédien, conteur, producteur, réalisateur et éditeur, a décidé de publier en braille en reconnaissance et en hommage l'une des œuvres de l'ambassadeur du peuple sur l'Emir Abdelkader. Notre ami toujours artiste a pour nom et prénom Kebir Sadek, le conteur au burnous noir.