“Gosfilm” est le mot qu'utilisent les vieux routiers des cinémathèques pour désigner “Gosfilmofon” qui est le nom véritable de l'immense cinémathèque russe, aussi grande et développée que le pays qui l'abrite. Voilà que nous apprenons aujourd'hui, par des sources nombreuses et concordantes, que des barons de la finance veulent la détruire. Ils ont, malheureusement, déjà réussi en partie puisqu'ils ont pu déloger “Gosfilm” de l'immeuble qu'elle occupait en plein centre de Moscou, pour l'envoyer vers un ailleurs hypothétique, quelque part dans une lointaine banlieue de cette grande métropole. Cette nouvelle nous attriste et nous révolte. Nos relations avec cette cinémathèque ne datent pas d'hier. Elles ont toujours été riches et amicales même si, dans les années 1970, s'agissant du rôle et des missions de nos institutions respectives, nos positions étaient quelque peu divergentes. Alors que nos amis soviétiques de l'époque privilégiaient la dimension scientifique et de conservation, nous avions pour notre part choisi comme objectifs prioritaires: la diffusion et l'éducation. Heureusement, avec la perestroïka, nos amis russes ont rejoint notre idéal, créant ainsi de nombreuses et magnifiques salles de diffusion, dont 4 à Moscou même, dans ce magnifique immeuble qui ne leur appartient plus. Ces salles rassemblaient, à longueur de journées, des milliers de jeunes, fous de cinéma. Ce que nous retenons en particulier de ce compagnonnage fécond, ce sont les deux actions initiées par la cinémathèque russe, dans un élan généreux d'aide et de solidarité en direction de la cinémathèque algérienne, à la suite de l'incendie qui l'avait détruite au début des années 1980 : un don de 500 sièges (beaux et confortables) pour aider à sa restauration et surtout l'envoi d'un millier de copies de films, dits “classiques soviétiques”, qui représentent aujourd'hui l'une des fiertés des collections de notre cinémathèque. Comment donc aujourd'hui se taire ? Comment ne pas réagir face à une telle injustice ? Comment accepter cette décision immorale des tenants du libéralisme sauvage, surtout lorsque nous apprenons que l'immeuble de la cinémathèque de Moscou sera transformé en un vulgaire casino et strip-bar. Mais nous restons optimistes car ce vaste pays a une immense culture, une culture où le cinéma côtoie les grands arts : littérature, musique, théâtre, danse et sport dans sa dimension artistique (nous n'oublierons jamais ce qu'ont représenté Lev Yachine pour le foot et Valérie Brumel pour le saut, tous deux immortalisés à l'écran). Ce grand peuple cultivé, nourri de Dostoïevski et de Eisenstein, ne laissera pas mourir Gosfilm, sa maison du cinéma et des cinéastes. C'est notre espoir, notre certitude! B. K. [email protected]